Le Président « décide » !

Les principales annonces faites par François Hollande lors de sa conférence
de presse visaient, quoi qu’il en dise, à satisfaire aux exigences de la Commission européenne.

Michel Soudais  • 23 mai 2013 abonné·es

Voulait-il terrasser une rumeur tenace ? Ou plus simplement réaffirmer l’étendue de son pouvoir ? Lors de sa conférence de presse, François Hollande, en réponse à une question sur sa supposée indécision, a martelé qu’il était bien à origine des décisions mises en œuvre par le gouvernement. « Je n’ai cessé de décider depuis que je suis là, a-t-il lancé. De ce point de vue-là, j’ai appris ce que c’est que d’être président : c’est décider, je ne cesse de décider. » Le verbe est pilonné une bonne quinzaine de fois en deux minutes. Afin que ceux qui l’ignoraient ne doutent plus que c’est bien le tombeur de Nicolas Sarkozy qui a décidé « dès le premier jour » des dépenses publiques, de la retraite à 60 ans, de l’allocation de rentrée scolaire… Les mesures pour la compétitivité, la réforme du marché du travail ? C’est lui. L’intervention au Mali ? La libération d’un otage en Somalie ? Le retrait d’Afghanistan ? La loi de programmation militaire ? Encore lui.

Tant d’insistance est suspecte. S’il concède ne pas prétendre décider « à la place des autres » – à la « différence » de son prédécesseur, déclare-t-il –, François Hollande veut montrer qu’il s’inscrit pleinement dans la tradition présidentialiste de nos institutions : « Tous les ministres sont liés par un pacte : faire réussir l’action que j’ai décidée », a-t-il aussi rappelé, en réponse à une question sur un éventuel remaniement. Le cérémonial de la conférence de presse gaullienne lui-même est une démonstration du pouvoir du chef. Quand le Président parle, la vie politique s’arrête. L’Assemblée nationale a d’ailleurs suspendu ses travaux pour permettre à un ministre, Michel Sapin, de rejoindre l’Élysée. Où, sagement assis dans une sorte de chapelle latérale de la nef, les ministres sont conviés à écouter la bonne parole, un étage en dessous de la tribune. La mise en scène n’est jamais innocente quand elle colle au discours.

Car ce jeudi, en surdémontrant qu’il n’était pas l’indécis, incapable de trancher entre les orientations divergentes de ses ministres, que décrivent les gazettes, François Hollande visait surtout à faire oublier le poids des contraintes et obligations dans « ses » décisions. Et singulièrement celui de la Commission européenne. La réforme des retraites en est un bon exemple. À l’entendre, le chef de l’État aurait décidé de rouvrir ce dossier uniquement « par esprit de responsabilité et esprit de justice ». Et l’allongement de la durée de cotisation ou le report de l’âge de départ à la retraite ne sont dictés que par une « évidence » démographique. « Bruxelles ne réclame rien de particulier », ose-t-il même affirmer. Comme si José Manuel Barroso, notamment dans un entretien récent à l’Express (8 mai), n’avait pas demandé au gouvernement français d’ « être plus ambitieux ».

Ce n’est pas la première fois que François Hollande anticipe les exigences européennes. La « réforme du marché du travail », « engagée par les partenaires sociaux » et désormais « votée par le Parlement », et dont il se félicite, était une vieille recommandation de la Commission ; M. Barroso a d’ailleurs salué sa conclusion, dans le même entretien à l’Express, estimant qu’elle « va dans le bon sens ». Mais un nouveau palier semble avoir été franchi ce mois de mai. Lors de sa rencontre à Bruxelles avec les 27 commissaires – une telle rencontre ne s’était pas produite depuis 1997 –, la veille de sa conférence de presse, François Hollande a pris tous les engagements que souhaitait la Commission européenne. En échange du sursis de deux ans obtenu pour ramener le déficit public sous la barre des 3 %, le chef de l’État s’est engagé à réduire la dépense publique, à poursuivre les réformes de compétitivité et à entamer les réformes de structures exigées. Qu’il précise aller dans cette voie, « non parce que l’Europe nous le demanderait mais parce que c’est l’intérêt de la France », ne dupe plus grand monde.

Olli Rehn, le commissaire en charges des affaires économiques, préconise de ne pas alourdir davantage la charge fiscale sur les entreprises ? François Hollande confirme une révision de « l’imposition des plus-values mobilières ». Bruxelles exige des « réformes structurelles »  ? Le « mouvement de simplification » des procédures administratives en est une, reconnaît le Président, qui pense ainsi « diviser par trois le temps pour implanter une entreprise ». Mais au prix d’une dérégulation accrue. L’État, estime Bruxelles, ne peut pas seul porter les investissements d’avenir ? « Pour [les] financer, annonce le chef de l’État, nous devons aussi aller chercher le secteur privé, le partenariat, des capitaux extérieurs, des fonds d’investissement, parfois même de l’étranger » … Où en serait-on si l’an I du quinquennat n’avait pas « été entièrement consacré à la défense de notre souveraineté »  ? Le Président peut bien décider « l’offensive ». Cet air martial cache mal que la France est désormais sous la surveillance étroite de la Commission. Qui lui applique le régime du Mécanisme européen de stabilité et de la Troïka.

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