L’enfer, c’est encore et toujours les autres

Agathe Alexis et Alain-Alexis Barsacq montent Huis clos, ce classique très moderne, en l’arrachant à son cadre bourgeois.

Gilles Costaz  • 9 mai 2013 abonné·es

Drôle de classique du théâtre moderne que Huis clos, de Jean-Paul Sartre ! C’est à la fois un coup de génie novateur et une pièce fabriquée avec de vieilles ficelles. Contaminé par l’horreur du monde dans lequel il vit, Sartre, en même temps que Camus, aborde les terres inédites de l’absurde. Mais l’un et l’autre ne trouvent que de manière prémonitoire et fugitive le langage que les Beckett et Ionesco ne tarderont pas à parler pleinement. Aussi Sartre utilise-t-il des conflits et des dialogues taillés au couteau. L’existentialisme ne sait se séparer de deux vieilles lunes au théâtre : le réalisme et le discours théorique.

On sait qu’il s’agit d’une descente en enfer où plus rien ne ressemble au cadre flamboyant et punitif qu’ont imaginé les religions. Dans une sorte de chambre d’hôtel arrivent, après leur mort, trois personnages qui ont tous commis une faute grave ou même tué : un journaliste de la plus parfaite lâcheté, une lesbienne perverse et une jeune femme adorable qui a noyé son nouveau-né… « L’enfer, c’est les autres », lâche l’homme quand il comprend que, dans cet au-delà sans dieu, leur damnation consiste à ne plus jamais connaître la solitude. La très intéressante mise en scène que présentent Agathe Alexis et Alain-Alexis Barsacq se situe dans la recherche du dénuement extrême et place les personnages dans un dispositif bifrontal qui évoque une souricière, un lieu sans échappatoire. Hormis les fauteuils d’une esthétique post-surréaliste qui détone un peu, tout balaie le détail inutile et l’image rétro, le contexte du décor bourgeois indiqué par l’auteur.

Seul Claude Régy avait mis en place ce principe d’épure quand il avait monté la pièce à la Comédie-Française. Mais il en avait fait, très bien, une tragédie antique. Ici, les trois destins restent d’aujourd’hui. Agathe Alexis (Inès, la lesbienne), Anne Le Guernec (Estelle, l’infanticide) et Bruno Boulzaguet (Garcin, le journaliste) jouent avec une formidable intensité ce qui serait le dernier ressort, la dernière crédulité ou le dernier mensonge d’un être humain. Quelles vibrations dans cette dernière parade avant la monotonie de l’éternité ! C’est quand même une bonne pièce, Huis clos  !

Théâtre
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