Les opticiens voient trop grand

Une enquête de l’UFC-Que choisir, pointant le prix excessif des lunettes, a suscité un tollé chez les professionnels du secteur et les assureurs privés, qui souhaitent accaparer les soins d’optique.

Thierry Brun  • 2 mai 2013 abonné·es

l’UFC-Que choisir a examiné « à la loupe » le « marché juteux » de la vente de lunettes dans une récente enquête ^2, alors que des annonces gouvernementales sont attendues avant l’été, dans le cadre d’une réflexion sur la régulation du secteur. Le marché des soins d’optique avait déjà fait couler beaucoup d’encre à l’automne dernier, à la suite de la condamnation de l’enseigne Alain Afflelou pour fraude aux mutuelles. Les groupements d’opticiens et les assureurs privés bataillent contre une proposition de loi qui autoriserait les mutuelles de santé à créer des réseaux de soins conventionnés pour limiter les dérapages tarifaires. Adopté à l’Assemblée nationale en novembre 2012, le texte est par ailleurs controversé à gauche parce qu’il ne réintègre pas les soins d’optique dans le champ de la Sécurité sociale.

La proposition n’ayant toujours pas été examinée au Sénat, l’enquête de l’UFC-Que choisir a provoqué un tollé parmi la dizaine de groupements d’opticiens accusés de vendre verres et montures à des prix trop élevés. Le marché se trouve en effet entre les mains d’enseignes qui dégagent « une marge brute de 275 euros » sur chaque paire de lunettes, constate l’UFC-Que choisir, « soit un taux de marge de 233 % », qui « atteint même 317 % » en moyenne sur les verres ophtalmologiques. Ceux-ci constituent un marché à forte valeur ajoutée, détenu à près de 70 % par Essilor, le leader mondial. Pour tirer sur les coûts, les opticiens se sont aussi lancés dans la vente sur Internet, mais celle-ci reste marginale (2 % des achats). Signe que les soins d’optique sont très rentables, le nombre de points de vente a augmenté de 47 % depuis 2000, alors que les besoins de la population n’ont progressé que de 13 % sur la même période. Cette « multiplication injustifiée » générerait un surcoût de 510 millions d’euros par an pour les assurés, soit 54 euros par paire de lunettes vendue. Conséquence, la France est le pays d’Europe où les lunettes sont les plus chères, ce qui en fait la deuxième cause de renoncement aux soins : « 94 % des dépenses reposent sur le consommateur, directement pour 44 %, à travers sa complémentaire santé pour 50 %. Ce niveau de reste-à-charge, que l’on ne retrouve pour aucun autre bien de santé, contraint 2,3 millions de Français à renoncer à se soigner », souligne l’enquête.

Cette situation, connue et dénoncée depuis plusieurs années, ne trouble pas la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), qui a défendu à maintes reprises une privatisation totale du secteur. Les assureurs privés avaient notamment demandé au gouvernement de François Fillon, en 2008, de leur confier le remboursement des soins d’optique et de laisser à la Sécurité sociale les soins les moins rentables. Envisagée un temps dans la réforme du système de santé (loi HPST), cette solution a été abandonnée en raison de l’opposition des mutuelles complémentaires sans but lucratif. Les révélations de l’UFC-Que choisir remettent ainsi au premier plan le principe d’une régulation publique des soins d’optique mettant au pas les acteurs privés de ce marché qui génère 4,7 milliards d’euros de dépenses pour 33 millions de consommateurs. Les mutuelles complémentaires sont sur les rangs pour jouer ce rôle et exigent l’adoption de la proposition de loi sur les réseaux de soins conventionnés : « Aujourd’hui, les mutuelles financent en grande partie les lunettes […] et, grâce aux réseaux mutualistes, nos prix sont inférieurs de 30 à 40 % à ceux du marché », assure le président de la Mutualité française, Étienne Caniard.

Le gouvernement peine cependant à prendre une décision : « Le débat n’est pas simplement celui de la prise en charge collective par l’assurance complémentaire ou par l’assurance maladie du prix des lunettes ou des lentilles de contact, il est aussi de faire en sorte que le prix des produits proposés à nos concitoyens soit réduit », estime Marisol Touraine, ministre de la Santé, qui a promis « des discussions » sur ce point. « La mise en place de réseaux de soins peut favoriser la baisse des prix de l’optique », a-t-elle poursuivi, sans prendre d’engagement.

Santé
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