Paul Quilès : L’arme nucléaire est dépassée

L’ancien ministre Paul Quilès pointe le coût du maintien d’une force de dissuasion et son inutilité face aux désordres du XXIe siècle. Il plaide pour une nouvelle doctrine de sécurité internationale.

Paul Quilès  • 9 mai 2013 abonné·es

L’objet d’un Livre blanc de la Défense est de définir à la fois les menaces auxquelles notre pays risque d’avoir à faire face et les moyens qu’il choisit de se donner pour y répondre. Il était nécessaire d’en rédiger un nouveau, dans la mesure où le précédent, celui de 2008, n’était plus pertinent du fait des décalages entre les ambitions affichées et la réalité de l’outil actuel de défense. De plus, le monde a bougé et des événements nouveaux doivent être pris en considération : le « printemps arabe », la crise économique et financière, l’évolution de l’implication militaire américaine dans le monde.

À la suite de la publication de ce document, rédigé par une commission de 46 experts et représentants de l’État, les commentaires ont surtout porté sur la réduction des objectifs assignés à la défense française et aux ambitions de la France en la matière. L’accent a été mis sur la diminution des moyens conventionnels, en particulier pour ce qui concerne les programmes d’armement et les effectifs, qui doivent à nouveau diminuer : 24 000 en moins d’ici à 2019. Il se trouve que, dans le même temps, aucune inflexion n’a été apportée au dispositif de soutien et de modernisation de l’armement nucléaire. Ce thème avait d’ailleurs été évacué des débats de la commission du Livre blanc par la lettre de cadrage du président de la République. Et pourtant, sans même remettre en cause le principe de la dissuasion nucléaire (sur lequel je vais revenir), il aurait été utile de ne pas se priver de certaines économies dans ce domaine. On aurait pu, par exemple, remettre en cause la force nucléaire aéroportée, qui représente 15 % de la dissuasion nucléaire française et dont l’utilité est très sujette à caution, comme l’ont remarqué les Britanniques, qui l’ont abandonnée en 1997. On dégagerait ainsi les moyens financiers qui permettraient d’éviter les saignées prévues dans les effectifs, dangereuses pour l’efficacité du dispositif d’intervention, et on pourrait développer les moyens de renseignement devenus indispensables dans des conflits tels que celui du Mali. De façon plus générale, je regrette que la réflexion menée par la commission du Livre blanc n’ait pas pu aborder un sujet, pourtant essentiel mais qui semble interdit de débat, celui de la pertinence de l’arme nucléaire dans notre stratégie de défense.

Rappelons-nous. Il y a un peu plus de vingt-trois ans, le mur de Berlin tombait. Cet événement majeur, suivi du démantèlement du bloc soviétique, mettait fin à la bipolarisation du monde et marquait une vraie rupture sur la scène internationale. Pourtant, aucune nouvelle doctrine de sécurité n’a véritablement émergé de cette mutation géopolitique profonde. Pour ce qui concerne la France, la dissuasion nucléaire – qui consiste à exposer son adversaire à un risque de destruction massive – reste le pilier de sa politique de défense. Hier, le contrôle des armes nucléaires symbolisait la volonté de maintenir un équilibre – même fragile – entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, et une certaine pertinence stratégique des armes nucléaires pouvait se concevoir. Aujourd’hui, les menaces de l’époque de la Guerre froide sont à ranger au nombre des peurs du passé et la théorie de la dissuasion nucléaire n’est plus adaptée au monde en mouvement de ce début de XXIe siècle. C’est l’existence même des armes nucléaires, couplée au risque de prolifération et de terrorisme nucléaire, qui constitue paradoxalement la plus grande menace.

La nouvelle donne internationale et son lot d’instabilités politiques profondes plaident pour faire de l’élimination des armes nucléaires la nouvelle doctrine de sécurité internationale. C’est plus par le multilatéralisme et les traités comme le TNP (1) qu’on combattra la prolifération nucléaire que par la dissuasion. De plus, en présentant les arsenaux nucléaires comme un outil de prestige et en établissant un lien entre la possession de l’arme nucléaire et «  le statut de grande puissance  », on incite certains pays à s’en équiper, alors que le but du TNP, ratifié par la quasi-totalité des membres de l’ONU (189), est d’aller vers une disparition de ces armes. La nouvelle génération ne croit pas en la stabilité éternelle des États dotés de l’arme nucléaire. Elle a compris que les armes nucléaires dont elle hérite ne l’aideront pas à répondre aux désordres du monde du XXIe siècle : le terrorisme, la crise économique et financière, la pollution et le réchauffement climatique, la pauvreté, les épidémies… Elle s’indigne d’entendre parler de coupes budgétaires qui affectent les dépenses sociales, alors qu’elle sait que la charge financière globale des arsenaux doit dépasser 700 milliards d’euros pour la prochaine décennie. Elle croit au contraire en un monde dans lequel la promotion du désarmement nucléaire confère plus de pouvoir et de prestige que la possession d’arsenaux surdimensionnés, dangereux et coûteux.

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