Pierre Henry : « La consultation ne suffit pas, il faut une vraie concertation »

Pierre Henry réagit aux annonces de Manuel Valls. Pour lui, une réforme ambitieuse ne pourra se faire sans l’expertise des associations.

Lena Bjurström  • 16 mai 2013 abonné·es

Un système d’asile commun : après trois ans de négociation, la Commission européenne a annoncé le 26 avril avoir trouvé un accord avec les États membres, imposant des normes communes pour le traitement des demandes d’asile, l’accueil des demandeurs et la garantie de leurs droits. Le dispositif devra être transposé dans les législations nationales d’ici à deux ans. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, a détaillé le 5 mai, dans un entretien au Monde, la forme qu’il pourrait prendre en France. Pour Pierre Henry, directeur général de l’association France terre d’asile, une réforme du droit d’asile est souhaitable, à condition d’être ambitieuse et d’impliquer les associations.

Manuel Valls a récemment annoncé les grandes lignes d’une nouvelle politique du droit d’asile. Une réforme est-elle nécessaire ?

Pierre Henry : La réforme du droit d’asile est attendue, souhaitable et nécessaire tant la désorganisation sur le terrain est grande et les politiques publiques inefficaces. Cela fait des années qu’on nous l’annonce, et des années que chaque politique envisagée se résume à des solutions expéditives, sans rien mettre en place de pérenne. Nous accueillons avec intérêt cette volonté de réforme, mais la question se pose de son ambition. Depuis l’arrivée du Parti socialiste au pouvoir, le discours s’est apaisé, c’est une bonne chose. Néanmoins, le droit d’asile et les migrations restent largement impensés au sein de l’exécutif. Pour construire sur le long terme, il faut d’abord établir un diagnostic partagé entre l’État et les acteurs de terrain. Cette réforme ne pourra se faire sans l’expertise des associations. Manuel Valls a évoqué une « consultation » au mois de juillet  il faut davantage, une véritable concertation, afin de reconstruire le système ensemble.

Quelles seraient les grandes lignes d’une réforme ambitieuse ?

Il y a quatre piliers. Tout d’abord, faciliter l’accès aux procédures de demande d’asile. Il est fréquent aujourd’hui que l’obtention ne serait-ce que d’un dossier de demande prenne quatre mois ; il faut un choc de simplification des démarches. Par ailleurs, la durée de la procédure d’examen de la demande doit être raccourcie. Cela fait plus de dix ans que nos politiques en parlent. En 2003, Jacques Chirac évoquait déjà l’idée de la réduire à six mois, et aujourd’hui elle dure encore seize, dix-sept mois. Il est plus que temps de l’accélérer, tout en garantissant au demandeur une possibilité de recours en cas de refus. La qualité de la décision doit aussi être repensée, et ce dès le premier examen de la demande. Pour l’heure, ce n’est pas la première instance d’examen, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), qui accorde le plus de statuts de réfugié mais l’instance de recours, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). C’est absurde ! Enfin, il est urgent de s’assurer de la qualité de l’accompagnement et de l’accueil des personnes pendant l’examen de leur demande. Depuis dix ans, l’administration de Bercy impose de gérer l’attente dans la précipitation, sans solutions pérennes. Nombre de demandeurs sont renvoyés vers l’hébergement d’urgence, des hôtels à la périphérie des grandes villes. Cela coûte cher et n’a rien de digne. Nous louons l’annonce de la création de 4 000 nouvelles places dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada), mais il faut aller plus loin.

Que penser de la volonté d’uniformisation du droit d’asile au niveau européen ?

Tout comme la réforme du droit d’asile en France, cela fait plus de dix ans qu’on en parle. Mais les différences géographiques, sociales et économiques des États membres jouent énormément. Le risque est bien sûr celui d’une uniformisation par le bas. On ne peut demander à la Grèce, par exemple, d’adopter un système d’asile à la française : du fait de sa situation géographique, ce pays est débordé par les arrivées de migrants, et sa situation socio-économique ne lui permet pas de faire face. Mais la France ne doit pas pour autant revoir son propre système d’asile à la baisse. Et tant que le système Dublin II [qui prévoit la prise en charge d’un réfugié par le premier pays de l’Union européenne où il est entré, NDLR] ne sera pas supprimé, les pays ne seront pas égaux face aux afflux de demandes, rendant impossible toute convergence positive.

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