Théâtre : le bonheur est dans la rue

À l’approche de l’été, les festivals des arts urbains se multiplient : un genre populaire mais précaire.

Gilles Costaz  • 23 mai 2013 abonné·es

Le théâtre de rue tel qu’il se pratique aujourd’hui, souvent dans une dimension fastueuse avec de nombreux artistes et des effets spéciaux, ne remonte pas aux bateleurs du Moyen Âge. Il s’est constitué il y a trente ans et, si l’Espagne est l’inventeur du genre, notre pays a su fonder peu à peu une dizaine de centres nationaux des arts de la rue. La troupe la plus célèbre est Royal de Luxe, qui lâche ses personnages géants dans les rues de France et de l’étranger. Mais ce qu’on appelle dans le métier le « grand format » a d’autres équipes de premier plan : notamment Transe Express, compagnie installée dans la Drôme, qui place ses acrobates et ses musiciens dans les airs, avec un incroyable sens de la fête, et Oposito, qui, depuis Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, a créé quelques classiques du genre : Cinématophone, Transhumance l’heure du troupeau…

Oposito, justement, organise l’un des événements de l’année, ses Rencontres d’ici et d’ailleurs, qu’il ouvre à des troupes amies. À sa tête, Jean-Raymond Jacob déclare :  « Nous sommes les parents pauvres du théâtre, alors que nous touchons 2 000 à 5 000 spectateurs à chaque fois. Nous, nous faisons de l’intime avec la foule. Notre dernière création, avec pas mal d’acteurs, nous a coûté 210 000 euros. C’est peu pour un grand format. Mais l’important, comme nous disons entre nous, c’est d’attaquer la ville. » « Nous faisons un art populaire, dit-il aussi. Mon ami Papelard, à Villeurbanne, préfère l’expression “fête de ville” à festival pour mieux parler des rapports avec la population. Il est certain qu’à nos festivals et aux spectacles de nos compagnies le public vient parfois quatre heures en avance, tant il est impatient. Au départ, je travaillais dans le théâtre traditionnel mais, peu à peu, j’ai préféré le public de la rue. C’est bien, de penser à tous et d’œuvrer pour une même collectivité. À Noisy, on travaille à quatre mains. J’imagine le spectacle puis Enrique Jimenez le dessine. Nous intéressons les chercheurs et les étudiants. Nous faisons de grandes tournées à l’étranger et il n’y a qu’en France que nous n’avons pas droit à la critique ! » La rupture avec le théâtre en salles n’est pas totalement consommée. D’autant que les arts de la rue sont par nature un genre hybride, aux frontières de la danse, de la musique, du cirque et des arts plastiques : une hybridation que le théâtre de recherche revendique aussi de son côté. Les passerelles sont en train de se reformer. Les Rencontres de Noisy invitent Christophe Alévêque et Emmanuelle Laborit. La « fête de ville » de Villeurbanne collabore avec le Théâtre national populaire (TNP) de Christian Schiaretti. Et Aurillac, qui est en quelque sorte l’Avignon des artistes urbains, recevra cet été Joël Pommerat et les Chiens de Navarre. Mais il y a quand même, entre les deux mondes, des barrières de classes qui ne sont pas près de tomber. Alors qu’Oposito utilise l’effet de surprise, les Invités de Villeurbanne mettent les habitants dans le secret et dans la fabrication des éléments urbains. À Villeurbanne, tout est « participatif », selon le responsable de l’événement, Patrice Papelard, qui a lancé ce beau slogan : « Du sens dans tous les sens. » Appeler les concitoyens à l’aide n’est pas faire dans la sagesse : la ville a été recouverte de carton puis, une autre fois, de tricot !

Furies, à Châlons-en-Champagne, et le célèbre festival d’Aurillac sont deux autres grandes vitrines ; elles ont un même directeur, Jean-François Songy. « Avec la crise, et les subventions qui sont coupées ou juste maintenues, on se paupérise, dit Songy. Il faut penser aux nouvelles générations. Naguère, le théâtre de rue, c’était une grande théâtralité avec une prise de parole. À présent, les spectacles de jeunes équipes sont plus sociologiques. » Mais les municipalités, qui achètent ces événements, sont les vrais maîtres des choix entre un style ou un autre. « On est les bouffons du roi. C’est ça, nos relations avec les politiques », soupire Jean-Raymond Jacob.

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