Grèce : coup d’arrêt pour Samaras

La suspension de la décision de fermer la télévision publique est un échec pour le gouvernement, qui maintient pourtant une réforme contestée de l’audiovisuel. Correspondance à Athènes, Amélie Poinssot.

Amélie Poinssot  • 19 juin 2013 abonné·es

Le Conseil d’État a donc tranché : la fermeture du groupe audiovisuel public grec (ERT), ordonnée unilatéralement le 11 juin par le gouvernement Samaras, a été suspendue lundi soir. Mais la joie des salariés de l’audiovisuel aura été de courte durée : l’avis du Conseil d’État rendu fait aussitôt place aux questions. Car la réforme de l’audiovisuel public aura bien lieu… Combien de salariés seront licenciés ? Comment seront-ils indemnisés ? Quelles seront les chaînes ou stations de radio supprimées ? Cette restructuration et les nouvelles embauches seront-elles conduites en toute transparence, alors que le gouvernement Samaras vient de démontrer des méthodes fort peu démocratiques ? « Le gouvernement n’a pas de plan, il faut continuer le combat », disait un des salariés mardi matin sur le plateau de l’ERT, encore diffusé en streaming sur Internet dans l’attente du rétablissement du signal… Si l’avis du Conseil d’État apparaît comme un camouflet pour le Premier ministre, Antonis Samaras, il ne doit pas faire oublier sa tentative de reprise en main des médias publics et l’atteinte à la démocratie qu’a constituée son geste. Cette histoire aura montré son inflexibilité malgré l’onde de choc internationale, l’intervention de l’Union européenne de radio-télévision (UER ) – qui regroupe les chaînes publiques du continent –, et l’importante mobilisation de la société grecque. Jusqu’au bout, le chef du gouvernement aura refusé de reculer.

Cependant, la coalition gouvernementale ne sortira pas indemne de cette crise : les deux partenaires de Nouvelle Démocratie – les socialistes du Pasok et la gauche modérée de Dimar – ont obtenu la promesse d’un remaniement gouvernemental pour la fin du mois. Désormais, chacun va manœuvrer de façon à sortir la tête haute de cette crise. Pour Evanguelis Venizelos, le chef du Pasok, et Fotis Kouvelis, le chef de Dimar, c’est en réalité la dernière occasion de se distinguer de la droite de Nouvelle Démocratie et de préserver ainsi une existence politique, après un an de concessions à la politique d’austérité… Mais ces deux partis ne veulent pas non plus provoquer de nouvelles élections. Venizelos et Kouvelis ont d’ailleurs insisté lundi soir sur la nécessité de réformer l’audiovisuel public. Mais ils ont aussi rappelé à Samaras qu’il ne pouvait gouverner tout seul : « Aucun gouvernement ne peut fonctionner en passant outre la majorité parlementaire, comme cela s’est fait avec la fermeture de l’ERT », a dit Venizelos. Pour rattraper le coup, Samaras pourrait créer un poste de vice-ministre à la réforme de l’audiovisuel et l’attribuer à une personnalité du Pasok ou du Dimar. Les salariés, eux, ont de bonnes raisons de s’inquiéter : c’est une tactique bien rodée depuis le début de la crise en Grèce que d’annoncer le pire pour faire passer un plan derrière…

Pendant sept jours consécutifs, on a ainsi assisté à une forte mobilisation des salariés de l’ERT. Dans le studio central de la chaîne d’information en continu – l’une des quatre chaînes du groupe – les journalistes ont enchaîné les plateaux télévisés, bravant l’interdiction répétée par le gouvernement. Informations en direct, invités politiques, figures de la société civile… une ambiance de travail toute nouvelle pour ces journalistes, confinés auparavant dans une couverture très institutionnelle des événements : « Nous nous sommes libérés, nous n’avons plus personne au-dessus de nos têtes! », nous confiait le présentateur Fanis Papathanassiou. Mais de l’autre côté de l’écran, dans les foyers, il a d’abord fallu prendre son mal en patience : une guerre des fréquences avait démarré. Finalement, c’est grâce à l’UER que la chaîne d’information a pu être transmise par satellite. Et visible sur Internet. Autant dire que les équipes techniques ont travaillé d’arrache-pied au siège de l’ERT. Au service Internet, Annita Paschalinou relève, sur un nouveau site créé par les salariés, toutes les manifestations de solidarité exprimées à l’étranger pour le maintien de l’audiovisuel public en Grèce. « Ce qui est frappant, c’est la solidarité qui naît entre nous, aussi. À travers cette mobilisation, nous avons découvert des collègues que nous ne connaissions même pas !  Pour moi, il y a quelque chose de révolutionnaire dans cette mobilisation : c’est une forme d’Occupy contre les 1   % qui ne savent raisonner qu’avec des chiffres.   » D’autant qu’il y avait là un paradoxe : l’ERT ne coûte rien à l’État. Financé par la taxe audiovisuelle – prélevée sur les factures d’électricité – et les recettes publicitaires, le groupe était autonome et ses comptes bénéficiaires.

Comme Annita, ils étaient nombreux à n’appartenir à aucun parti politique, ni même au syndicat maison. Et, à l’exception des plus hauts postes, la volonté d’opposer une résistance et de poursuivre le travail a été immédiate et unanime. Assemblées générales, coordination horizontale, organisation de concerts avec les ensembles musicaux de l’ERT… Une occupation autogérée des lieux avait pris forme. Les salariés étaient d’autant plus amers que l’ERT a en réalité déjà subi un important dégraissage. Cette entreprise publique de droit privé comptait 5 150 salariés (permanents et contractuels) avant la crise ; seulement 2 600 à la veille de sa fermeture. Certains ont dénoncé avec cette opération coup de poing un plan préparé de longue date. « Plutôt que d’en faire un grand groupe médiatique, le gouvernement Samaras n’a cessé de le dégrader depuis son arrivée au pouvoir », estime Kostas Spiropoulos, l’ancien directeur général de la télévision, écarté en décembre dernier. « Nouvelle Démocratie avait une approche étatiste de l’ERT. Et maintenant, elle se présente comme libérale ! » D’après le projet de loi présenté la semaine dernière, toujours d’actualité après l’avis rendu par la justice, la nouvelle entité qui doit naître ne comptera plus que 1 200 salariés.

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