Marché transatlantique : les négociations sont engagées

Aucun débat public sur le contenu du mandat de négociation de la Commission européenne avec les États-Unis n’a été prévu. Et le gouvernement français n’a pas opposé de veto.

Thierry Brun  • 20 juin 2013 abonné·es

Barack Obama et les dirigeants européens ont solennellement donné le coup d’envoi, le 17 juin, en marge du sommet du G8 en Irlande du Nord, des négociations pour un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, TTIP en anglais), un accord visant à créer la plus vaste zone de libre-échange au monde. Après treize heures de négociations ininterrompues le 14 juin, les ministres européens en charge du Commerce extérieur ont en effet autorisé la Commission européenne à négocier un large accord destiné, entre autres, à supprimer les « barrières non tarifaires » au commerce, c’est-à-dire les réglementations sociales, environnementales et économiques susceptibles de l’entraver.

Les citoyens européens ne sauront pas le contenu exact du mandat de la Commission : il « demeure un document à diffusion restreinte, ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de l’Union européenne », a indiqué Bruxelles, alors qu’une version quasi définitive de celui-ci a fuité quelques jours avant le Conseil européen du 14 juin. Aucun débat public n’est donc prévu sur les enjeux des négociations, ont dénoncé des députés européens d’EELV et de la Gauche unitaire européenne. Et ils déplorent que celui-ci, d’après la version qui a circulé, respecte les lois et règlements relatifs au travail et à la main-d’œuvre « pourvu que, ce faisant, ils n’annulent ou ne compromettent les avantages découlant de l’accord » sur le commerce et les investissements.

En ce qui concerne l’exclusion de la culture et de l’audiovisuel, « nous avons été entendus », assure Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur. C’est « un succès pour la diversité culturelle partout en Europe », a lancé la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Et le Parti socialiste y voit une « première victoire pour la diversité culturelle ». Cependant, la satisfaction du gouvernement et du PS relève de l’enfumage. À Bruxelles, la Commission européenne a fait entendre un autre son de cloche. À l’issue du Conseil européen, Karel De Gucht a révélé que « 98 % du contenu du mandat de la Commission a été adopté, avec un consensus très large », ajoutant que « les services audiovisuels ne sont actuellement pas dans le mandat », mais que « la Commission a la possibilité de revenir au Conseil avec des directives de négociations supplémentaires sur la base d’une discussion avec nos homologues américains ». En clair, la non-inclusion de l’audiovisuel et de la culture dans le champ de la négociation commerciale à venir n’est que « provisoire ».

Le ton est monté d’un cran entre le gouvernement et José Manuel Barroso, président de la Commission, quand celui-ci a traité, lundi, la position française sur l’exception culturelle de « réactionnaire » et rappelé dans l’ International Herald Tribune (le 17 juin) que « la Commission peut à tout moment revenir vers les États membres pour proposer une révision de ce mandat sur toute question ». Des propos « absolument consternants », a répondu Aurélie Filippetti, sans relever que les ministres du Commerce ont unanimement accepté un mandat dont le contenu est explosif. « On va au-delà de ce qu’exigent les accords de l’Organisation mondiale du commerce [OMC] sur les droits de propriété intellectuelle, sur le commerce des services, sur la déréglementation, sur les pratiques administratives, sur l’agriculture. Il s’agit en fait de créer un marché commun qui sera soumis à un organe d’arbitrage contraignant sur le modèle de l’organe de règlement des différends de l’OMC. Un pas de géant sera franchi vers la dépossession de notre destin, un recul de plus, considérable, de la démocratie, dont ne profiteront que les firmes américano-européennes », prévient Raoul Marc Jennar, spécialiste des accords commerciaux internationaux.

« Les lobbies n’ont pas à décider de notre avenir », ont aussi dénoncé une vingtaine d’organisations françaises, dont Attac France, la Confédération paysanne, Agir pour l’environnement et l’Union syndicale Solidaires. François Hollande et Jean-Marc Ayrault n’ont pas opposé de veto à la Commission. Victoire ou échec ?