Une belle part de Table ronde

Julie Brochen et Christian Schiaretti présentent le troisième des dix épisodes du Graal Théâtre de Delay-Roubaud.

Gilles Costaz  • 6 juin 2013 abonné·es

La Table ronde des chevaliers du roi Arthur descend du ciel, et vingt hommes en armure lèvent leur épée vers l’immense disque qui vient vers eux. Ainsi commence chaque épisode du Graal Théâtre tel qu’il est mis en scène par Julie Brochen et Christian Schiaretti. Car il s’est passé une chose assez rare dans le monde individualiste de notre théâtre public : deux directeurs de grandes institutions, Brochen, à la tête du Théâtre national de Strasbourg, et Schiaretti, aux rênes du TNP de Villeurbanne, se sont associés pour monter l’intégralité du Graal Théâtre de Florence Delay et Jacques Roubaud. Ils ont mis en commun leurs troupes. Ils s’attribuent les mises en scène à tour de rôle. Ils ont aussi additionné leurs moyens financiers. Et de l’argent, il en faut, car, si l’aventure va jusqu’au bout, ce sont dix spectacles qui se seront succédé pour nous conter l’histoire d’Arthur, Merlin, Gauvain, Viviane, Guenièvre, Perceval, Lancelot…

Le projet défie les mesures en usage. L’écriture de l’œuvre les a également fait éclater. En 1970, Florence Delay a rencontré Jacques Roubaud. La romancière-essayiste-traductrice et le poète-mathématicien ont eu l’idée d’écrire le cycle du Graal à leur façon. Cela leur a pris trente ans mais ce n’est pas tout à fait fini puisque, pour les besoins des représentations, ils corrigent encore ! L’ouvrage existe dans sa forme « provisoirement définitive » en librairie. Sur scène, il n’a jamais été monté dans sa totalité. Marcel Maréchal a été le premier à s’y intéresser mais n’a monté qu’un ou deux épisodes. À présent, Brochen et Schiaretti tentent l’impossible. Ils ont déjà présenté le prologue, Joseph d’Arimathie, et le texte suivant, Merlin l’enchanteur. Julie Brochen donne maintenant à voir, à Strasbourg et à Villeurbanne, Gauvain et le Chevalier vert. Plus que sept épisodes – de plus de deux heures – à monter dans les années à venir ! Le chapitre Gauvain et le Chevalier vert est tout aussi hétéroclite que les précédents. Brassant les thèmes de l’amour courtois et alignant les métaphores, le récit progresse d’une manière hachée. Gauvain, chevalier secret et silencieux, part dans un périple qui le ramènera à son point de départ. Il doit pourtant trouver une chapelle verte mais sera détourné de sa mission par un géant qui lui demande de lui couper la tête (à charge de revanche : le géant reviendra le décapiter dans un an !) et par un noble sournois qui l’entraînera dans trois duos sexuels, avec lui, sa femme et une bête.

On peut résumer Gauvain ainsi mais on pourrait le narrer autrement : Delay et Roubaud ont respecté une certaine incohérence originelle et ont laissé entrer, sous différents masques, le monde moderne et leurs propres passions. N’assiste-t-on pas à une révolte d’ouvrières en blouses bleues au cours de l’errance de Gauvain, qui observe d’un œil distant les mondes rêvés et réels, présents et futurs qu’il traverse ? En compagnie d’acteurs qui semblent sortis d’enluminures afin d’en faire éclater la trop statique apparence (David Martins, Julien Tiphaine, Fred Cacheux, Julien Gauthier, Muriel Inès Amat, Laurence Besson), Julie Brochen mène avec sûreté et sans hâte nerveuse cette quête où les contraires s’additionnent. Des panneaux coulissants changent l’espace et l’image sans brutalité. L’esprit fasciné puise ce qu’il veut dans cette montagne d’événements et attend la suite. L’objectif de Schiaretti et Brochen serait de réaliser au moins les cinq premiers épisodes et de les présenter en continu dans un festival d’Avignon à venir. Que la fée Viviane les aide dans leur folle chevauchée !

Théâtre
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