Avignon Off : Dans l’ombre du Palais

Lagarce, Gautier et de Poncharra : une première sélection dans le off servie par des mises en scène étonnantes et saisissantes.

Gilles Costaz  • 11 juillet 2013 abonné·es

Jean-Luc Lagarce, mort il y a une dizaine d’années, est l’une des voix les plus troublantes du théâtre contemporain. On se dit même que le festival officiel aurait pu préférer Lagarce à Handke, avec qui il a pas mal d’affinités (l’amour-haine de la cellule familiale), car, chez l’auteur disparu, il n’y a pas de moralisation du dialogue. Dans son œuvre, les Règles du savoir-vivre dans la société moderne tient une place à part, puisque Lagarce s’est amusé à reprendre, en les amplifiant sournoisement, les conseils d’une mondaine de la fin du XIXe siècle, la baronne Staffe. Comment recevoir, comment se comporter avec les gens de son monde et avec les domestiques, quelle attitude à avoir avec une amie divorcée… ? Tout le bréviaire de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie fossilisées dans leurs mœurs artificielles et hautaines !

Ce texte a beaucoup été joué, et toujours par des actrices. C’est un acteur travesti (si peu travesti !), Martin Juvanon du Vachat, qui en donne à présent une nouvelle interprétation, dans une mise en scène de François Thomas. Et c’est tout à fait étonnant. Au lieu de céder à la facilité d’un jeu music-hall, Martin Juvanon du Vachat évite tout clin d’œil et crée un étrange voyage vocal et physique dans ce personnage sûr de lui et à travers cette littérature professorale. Avec une drôlerie très personnelle et une gourmandise des mots, il désintègre une société qui appartient au passé mais dont l’écrasant conformisme demeure chez les familles plus béatement réactionnaires (Grenier à sel, 19 h 40). Qui se souvient de Théophile Gautier auteur de théâtre ? Celui qui portait un gilet rouge à la première d’ Hernani pour mieux défendre son ami Hugo a été totalement éclipsé par les grands romantiques de la scène. Comment Jean-Claude Penchenat et sa compagnie Abraxas ont-ils pensé à ressusciter ce mélo oublié Regardez mais ne touchez pas  ? On ne sait, mais le spectacle a déjà eu une belle carrière au Lucernaire, à Paris, avant d’arriver dans le off. Aussi hispanisant qu’Hugo, Gautier situe sa pièce dans l’Espagne de son temps. À cheval, la reine a eu la désagréable surprise d’être emportée par sa monture emballée. Un homme s’est porté à son secours. Mais les convenances – encore pires que chez la baronne de Lagarce – exigent qu’on mette à mort quiconque a frôlé le corps de la reine. En même temps, la suivante promet de se marier au sauveur de sa maîtresse. Deux chevaliers se présentent. Un imposteur et un authentique galant homme ! Il y a moins de passion sociale que chez Hugo dans ce mélo pas sérieux. Mais l’ironie de Gautier est réjouissante. Jean-Claude Penchenat a pris l’affaire à la blague avec la plus grande gravité dans l’organisation des coups de théâtre et des déclarations passionnées. Tous les changements se font à vue et la pauvreté des moyens devient l’un des partenaires d’une équipe majoritairement très jeune (Flore Gandiol, Damien Roussineau, Chloé Donn, Samuel Bonnafil…). Rien de tel que les spectacles faits avec rien mais avec beaucoup d’acteurs endiablés. C’est toute la verdeur emballante du théâtre (Le Chien qui fume, 14 h 05).

Pour revenir à l’écriture contemporaine, on signalera la reprise d’un spectacle dont nous avions déjà parlé à sa création, les Ratés, de Natacha de Poncharra. L’étrange histoire de jumeaux nés avec une tête de rat. Et une admirable fable moderne sur la différence et l’exclusion. Fanny Malterre a composé, avec les acteurs Jean-Christophe Allais, Sievert Rainer et Jean-Paul Vigier, un spectacle saisissant dont on peut dire, sans tricher, qu’il ne ressemble à aucun autre (Arto, 15 h 35).

Théâtre
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