Benjamin Stora : « L’Égypte n’est pas l’Algérie de 1992 »

L’historien Benjamin Stora relève plus de différences que de similitudes entre la crise égyptienne et la guerre civile algérienne.

Denis Sieffert  • 11 juillet 2013 abonné·es

Pour beaucoup d’observateurs, les nouveaux développements de la crise égyptienne comportent un risque de dérive à l’algérienne. L’interruption du processus électoral en Algérie, en janvier 1992, alors que le Front islamique du salut (FIS) était arrivé largement en tête au premier tour des législatives, avait précipité le pays dans une décennie de guerre civile. Mais pour l’historien Benjamin Stora [^2], les deux situations ne sont pas tout à fait comparables. « La différence la plus importante, selon ce spécialiste de l’Algérie et du Maghreb, réside dans le fait que les islamistes égyptiens ont exercé le pouvoir. C’est leur gestion économique et sociale qui a provoqué une défiance populaire. La mobilisation est allée des nassériens aux salafistes. Alors qu’en   1992, en Algérie, les islamistes avaient été empêchés de gouverner. La défiance à leur égard était encore abstraite, tandis qu’en Égypte, il s’agit d’une réaction à une réalité dont les gens ont fait l’expérience. »

Malgré cela, s’ils sont rejetés hors du champ politique, les islamistes égyptiens peuvent-ils être tentés de prendre le maquis, à l’instar de certains groupes issus du FIS dans les années 1990 ? Benjamin Stora en doute : « L’expérience désastreuse de la guerre civile algérienne est connue en Égypte. Et si l’histoire est différente, la géographie l’est aussi, et ce n’est pas un élément négligeable : l’Égypte n’a pas, comme l’Algérie, un relief qui favorise l’organisation d’un maquis. » L’historien reconnaît qu’il y a tout de même quelques similitudes inquiétantes avec le précédent algérien : « Le rôle central de l’armée, tout d’abord, avec cette idée que l’on peut régler les problèmes économiques par le tout sécuritaire, et cette volonté des généraux d’éradiquer l’islamisme militairement. » « Or, insiste Stora, on n’effacera pas 40 ou 50   % de la population par des solutions sécuritaires. » Mais, selon lui, il y a aussi une autre ressemblance, tout aussi inquiétante : « En Égypte, comme dans l’Algérie du début des années   1990, la mobilisation n’a pas abouti à une structuration démocratique. Nous assistons à des mouvements de foule, mais cela n’a pas débouché sur l’émergence d’un parti politique démocratique. Si bien que les deux grandes forces structurantes restent les Frères musulmans et l’armée. » Comme dans le soulèvement d’octobre 1988 en Algérie, qui préfigura en quelque sorte les printemps arabes, l’opposition à l’ex-président Mohamed Morsi et aux Frères musulmans est en effet très composite. « Cette division, souligne Benjamin Stora, peut également profiter aux partisans d’Hosni Moubarak qui, eux aussi, restent structurés ».

[^2]: Dernier ouvrage paru : Voyages en postcolonies, Stock (2012).

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