Incrédulités

Le sport de haute compétition, avec ses enjeux financiers, n’est-il pas une métaphore de notre époque ?

Denis Sieffert  • 18 juillet 2013 abonné·es

La seule vérité que Lance Armstrong – le Cahuzac du cyclisme – ait peut-être proférée au cours des dernières années nous revenait en mémoire, dimanche, en regardant le Britannique Christopher Froome escalader frénétiquement les pentes du Ventoux : « Il est impossible de gagner le Tour de France sans dopage », avait dit l’Américain, qui, bon camarade, léguait en passant cet héritage empoisonné aux générations futures. Comment ne pas y penser en effet en voyant le petit homme en jaune piquer des sprints sur les pentes abruptes de la montagne du Vaucluse ?

Il fallait le voir pour le croire ou, peut-être, pour ne pas le croire… Tandis que le leader moulinait comme un robot sans jamais décoller les fesses de la selle, son principal rival, Contador, piochait et dodelinait plusieurs centaines de mètres en contrebas s’aspergeant d’eau froide pour essayer de retrouver température humaine. Ce qui nous a valu ce commentaire d’un journaliste de France 2 : « Contador n’est plus ce qu’il était autrefois. » Ironie ou amnésie ? On se le demande quand on se souvient que le champion espagnol a lui-même été, « autrefois », disqualifié pour dopage… S’il y a quelque chose de nouveau cette année sous le ciel de la Grande Boucle, ce sont peut-être ces commentaires. « Espérons qu’il est propre ! », soupira même un journaliste alors que Froome portait une nouvelle accélération à couper le souffle (le nôtre, pas le sien !). Comme le murmure d’une conscience qui voulait prendre date… au cas où… Puis, un peu plus loin, alors que notre champion transhumain semblait s’accorder un instant de répit, nous eûmes droit à cette autre réflexion, ébouriffante : « Peut-être qu’il ralentit pour qu’on ne dise pas qu’il est dopé. »

C’est donc peu dire que l’incrédulité a gagné ceux qui sont ordinairement les promoteurs zélés d’un événement à fortes recettes publicitaires. Eux qui, pendant tant d’années, feignaient une candeur de premiers communiants. Verdict de cette folle journée (car il faut tout de même donner des chiffres) : près de 42 de moyenne pour le vainqueur, sur les 240 kilomètres que comptait l’étape, ascension du Ventoux comprise. Et une heure d’avance sur l’horaire prévu ! Comble de malchance : au soir de cette ascension déjà mémorable, on apprenait que deux des plus fameux coureurs de cent mètres, l’un états-unien, Tyson Gay, l’autre jamaïcain, Asafa Powell, avaient été pris en flagrant délit de dopage. Notre incrédulité n’avait pas besoin de cela. Mais, rassurez-vous, je ne suis pas en train de faire concurrence à nos confrères de l’Équipe. C’est autre chose qui nous intéresse ici. Le sport de haute compétition, avec ses enjeux financiers, ses performances inflationnistes, ses exigences de croissance sans limite, n’est-il pas une métaphore de notre époque ? N’est-il pas condamné au bluff et au mensonge ? Comme une société qui ne veut pas se déprendre d’un productivisme pathologique. Et l’information qui l’accompagne n’est-elle pas condamnée à assurer la promotion d’un spectacle lucratif ? Pour changer de « terrain », voyons par exemple le sort réservé à Bernard Tapie dans nos médias. Daniel Schneidermann l’a excellemment analysé dans sa chronique de Libé. Quand des chaînes de télévision consacrent la moitié de leur journal télévisé à une interview de notre « Nanard », on se dit que la vérité est bien peu de chose, et que ce journalisme-là est surtout soucieux d’assurer par tous les moyens une audience et les recettes publicitaires afférentes. Le problème, c’est que dans le cas du cycliste monté sur pile, comme dans celui de l’affairiste transformé en victime, le discours ne passe plus dans l’opinion. Et que le soupçon du « tous menteurs », qui n’est pas loin du « tous pourris », ne cesse de se renforcer.

Certes, le mensonge en politique est d’une autre nature. Mais puisque nous en sommes à cette journée du 14 juillet, il nous faut aussi dire un mot de la prestation élyséenne de François Hollande. Le Président, dopé à l’optimisme, est à peu près le seul à voir dans notre économie des signes de reprise. Il est le seul en tout cas à croire à une inversion de la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année. On ne parlera pas vraiment de mensonges, mais plutôt de méthode Coué. C’est bien de vouloir redonner le moral aux Français. Encore faut-il que le propos ait un minimum de rapport avec la réalité. Car « mensonge », « bluff », « baratin », « propagande », « méthode Coué », le résultat finit par être à peu près le même dans notre conscience collective. Ce vague sentiment qu’on nous raconte toujours des bobards. Où l’on voit que le Tour de France a aussi une dimension politique.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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