Jean-Vincent Placé : « Nous sommes au bord de la sortie ! »

Le sénateur Jean-Vincent Placé s’alarme du mépris manifesté par l’exécutif pour l’écologie.

Patrick Piro  • 10 juillet 2013 abonné·es

Il a été l’un des premiers cadres du parti écologiste à durcir sa position contre le gouvernement, menaçant les socialistes d’une rupture d’alliance dès la fin 2012 à mesure que les déceptions se multipliaient. Isolé à l’époque, il l’est moins aujourd’hui, et EELV, tirant parti de l’éviction de Delphine Batho, s’apprête à faire pression sur l’exécutif pour obtenir rapidement des avancées, sur la fiscalité écologique notamment.

Delphine Batho, qui se sentait en disgrâce au gouvernement, n’a-t-elle pas pris volontairement l’initiative d’une rupture en critiquant le budget ?

Jean-Vincent Placé : Je ne le crois pas. Elle a normalement défendu sa dotation, comme le ferait n’importe quel ministre. Elle n’avait probablement pas anticipé une réaction aussi agressive et humiliante. Mais elle s’est heurtée au mur du ministère des Finances, et elle n’a pas vu comment faire autrement que d’aller au bout d’une logique que je trouve courageuse.

Vous faites du limogeage de Delphine Batho une attaque contre l’écologie. Pourtant, le milieu ne la considérait pas comme à la hauteur… 

Successeur de Delphine Batho et troisième ministre de l’Écologie en à peine plus d’un an, Philippe Martin a au moins pour lui de connaître les dossiers dont il hérite. Avant la victoire de François Hollande, il était secrétaire national adjoint à l’environnement du PS, un poste qui n’avait pas été confié par hasard à ce fabiusien au lendemain du congrès de Reims. À la présidence du conseil général du Gers et en qualité de député, Philippe Martin a bataillé contre les OGM et pour l’interdiction de la culture en plein champ du maïs Monsanto Mon810. Il a aussi imposé aux restaurants collectifs des institutions publiques de son département de se fournir auprès des agriculteurs locaux, selon le principe des filières courtes. Rapporteur en 2011 d’une mission parlementaire sur les gaz et huile de schiste, il s’était prononcé sans ambiguïté contre l’exploitation de ce nouveau pétrole, et faisait partie des négociateurs de l’accord PS-EELV avec lequel François Hollande a pris ses distances. Seul bémol : son rapport sur la gestion des ressources en eau, début juin, a été vivement critiqué par France Nature environnement, qui lui reprochait d’être par trop favorable à une vision du monde partagée par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

Je demandais, ces derniers temps, que l’on cesse de charrier la ministre, qui commençait à s’imprégner réellement des grandes problématiques qui nous préoccupent. Mais, au-delà de sa personne, il faut constater que les deux seules réactions sèches et autoritaires du gouvernement ont touché deux ministres de l’Écologie, et deux femmes. En comparaison, quand je vois ce que l’on a passé à Arnaud Montebourg, je suis sidéré ! Comme je ne suis pas l’absence absolue de coordination politique dans ce gouvernement. Au cours de la même semaine, le Premier ministre impose à l’écologie la plus forte baisse de budget des ministères, quand le Président lance un appel, dans le quotidien Ouest-France, à l’alliance et aux listes communes pour les municipales ! Tout cela traduit de la part de l’exécutif une grande désinvolture et un désintérêt manifeste pour nos idées. On a non seulement renoncé à prendre en compte les grandes urgences écologiques, mais aussi les promesses mêmes du candidat Hollande, qui devait faire de la France le pays de « l’excellence environnementale » … Le gouvernement ne considère pas les politiques écologiques comme un atout pour sortir de la crise.

Parvenue à des conclusions aussi radicales, EELV ne se devait-elle pas d’engager la sortie du gouvernement ?

Il est clair que nous n’en sommes pas loin. Mais, personnellement, je ne l’ai pas envisagée dans ce cas de figure. D’abord parce qu’il n’existe pas d’état de fait qui le justifie : pour ce qui me concerne, je considère que la baisse de 7 % du budget du ministère n’est pas entérinée. Ainsi, je me battrai notamment pour que la dotation actuelle de l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, NDLR] soit a minima reconduite. Je l’ai clairement dit à Philippe Martin, successeur de Delphine Batho. J’attends aujourd’hui des faits, plus des promesses. Et nous avons au moins trois autres grands dossiers devant nous pour en juger : le montant des fonds octroyés à l’écologie au sein des « investissements d’avenir », les garanties concernant la fermeture de la centrale de Fessenheim ainsi que les mesures organisant le recul du nucléaire de 75 % à 50 % d’ici à 2025, et la montée en puissance de la fiscalité écologique — taxe carbone, augmentation des prélèvements sur le diesel, taxe sur les activités polluantes, écocontribution, etc. La loi de finance 2014 n’est pas encore adoptée, et je me réserve la possibilité de voter contre si l’on en reste là. On ne pourra pas demeurer dans un gouvernement qui organise la régression de l’écologie.

Vous avez été un des premiers à radicaliser votre position. Où en est le parti ?

Je me félicite de constater que mes vues rallient de plus en plus de personnes en interne. Certains qui soutenaient le traité européen, à l’automne dernier, reviennent sur leur position. Nous en sommes parvenus à l’expression d’un rapport de force, et tout le monde est d’accord aujourd’hui pour mettre la pression. Sortir maintenant, c’était aussi compromettre l’adoption de la loi Duflot sur le logement, l’un des principaux acquis de la participation d’EELV au gouvernement… C’est exact, d’autant plus que ce texte rassembleur est salué par tous comme un excellent travail. Mais là n’était pas le sujet.

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