Le prix de la politique spectacle

Il serait naïf de croire que la décision du Conseil constitutionnel engage notre système politique dans un cercle vertueux.

Denis Sieffert  • 11 juillet 2013 abonné·es

On ne saurait évidemment qu’applaudir à la décision du Conseil constitutionnel de ne pas valider les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. C’est une gifle salutaire pour tous les bonimenteurs et autres bluffeurs qui peuplent notre paysage politique. Avec Bernard Tapie, qui fait figure de virtuose, Nicolas Sarkozy est assurément le plus éminent représentant de cette caste qui se croit tout permis. La sidération qui s’est emparée de l’ancien Président et de sa garde rapprochée est à la mesure du sentiment d’impunité qui habite ces gens depuis tant d’années. La certitude que les « sages du Palais-Royal », comme on les appelle, n’avaient guère qu’une fonction décorative, ou qu’ils avaient seulement vocation à frapper les petits candidats, a poussé Sarkozy à la faute. Une certitude alimentée par la mansuétude dont avait fait preuve jusqu’ici le Conseil quand il s’agissait de « gros poissons ». On se souvient des aveux tardifs de son ex-président, Roland Dumas, expliquant comment lui et ses collègues avaient, en 1995, validé les comptes de campagne d’Édouard Balladur et de Jacques Chirac, pourtant excédentaires.

C’est donc en toute décontraction qu’en 2012 Nicolas Sarkozy a imputé des meetings de propagande électorale au budget de l’Élysée, tandis que d’autres étaient versés au compte du fonctionnement ordinaire de l’UMP. En apprenant la décision de l’institution présidée par Jean-Louis Debré, il a éprouvé le sentiment d’injustice du fraudeur qui a toujours fraudé et qui ne comprend pas pourquoi cette fois ça ne passe pas. La saine colère qui en a résulté a précipité son retour hasardeux en politique. En fait, on a surtout l’impression que cet impatient pathologique en a profité pour venir humilier ses deux potentiels concurrents pour 2017, Copé et Fillon, réduits, lundi soir, à jouer les majordomes devant le siège de l’UMP. Il est d’ailleurs cocasse d’observer que la mise en scène de cette opération de communication fournissait une parfaite illustration du problème, c’est-à-dire cette politique spectacle qui coûte si cher et qui sonne si pathétiquement le creux. Tout y était : la foule assemblée, la forêt de micros et de caméras (Ah ! Quel métier !) et jusqu’aux images faussement dérobées par un vidéaste « amateur » et au son d’outre-tombe qui nous rapportait laborieusement la précieuse pensée sarkozyenne ( « Vois-tu Jean-François, vois-tu François, nous aurions dû réfléchir avant à la question clé : comment redonner de la compétitivité à notre pays » ). L’épisode est venu nous rappeler combien le mal est profond et à quel point il serait naïf de croire que la décision du Conseil constitutionnel engage notre système politique dans un cercle vertueux.

Quelques éditorialistes ont d’ailleurs immédiatement imaginé la parade : si Nicolas Sarkozy est hors la loi, c’est que la loi est mauvaise. Il faut donc en changer. En l’occurrence, il faudrait relever le plafond des dépenses autorisées pour une présidentielle. Et nous voilà bien au cœur du vrai problème : la dérive inflationniste des campagnes électorales, et le gigantisme qui peu à peu saisit la vie politique. De nos jours, pour prétendre accéder à la cour des grands, il faut au moins deux meetings géants, irrigués par des dizaines de TGV et des centaines de cars en partie remboursés par la manne publique ; il faut des milliers de petites mains qui tweetent et re-tweetent la bonne parole électorale ; il faut des conseils en communication comme ceux qui ont conçu le spectacle de lundi soir ; il faut des sondages en pagaille, souvent secrets mais toujours dispendieux ; il faut du coaching pour bien passer à la télé ; il faut une armada de vidéastes équipés de pied en cap et – quand on est de droite – des entreprises de sécurité et des hôtesses…

La tendance à l’aggravation de ce système risque d’être plus forte que nos règles et nos « plafonds ». On le sait, la tentation américaine existe dans les états-majors. Celle d’un bipartisme dévorant qui met aux prises de puissantes écuries présidentielles, lesquelles finissent par s’autocélébrer en de grands-messes médiatiques inondées de confettis et de mirlitons. Celle d’une course au fric sans limites. Aux États-Unis, la Cour suprême a levé en 2010 l’interdiction faite aux entreprises privées de contribuer. L’an dernier, la campagne a coûté 2,6 milliards de dollars, soit 13 % de plus que la précédente, en 2008. En France, nous en sommes encore très loin. Mais il ne faudrait pas que la décision du Conseil constitutionnel ait pour effet paradoxal de libéraliser un système de plus en plus dévorant. Car il y a une logique politique à cela qui ne résulte pas seulement de la toute-puissance de la société du spectacle. C’est la logique gestionnaire. Quand les grandes écuries présidentielles ne parviennent plus à se différencier en raison de leurs orientations politiques et sociales, alors la compétition se joue sur la communication, c’est-à-dire sur l’aptitude à circonvenir l’opinion. De cela, nous ne sommes déjà plus très loin. Et l’élection présidentielle au suffrage universel est un terrain propice pour cette redoutable mutation.

Censure
Un récent arrêt de la cour d’appel de Versailles ordonne à Mediapart et au Point de supprimer sur leurs sites toute citation des fameux « enregistrements Bettencourt » pourtant connus de tous (voir l’article d’Olivier Doubre, p. 11). Politis s’est évidemment associé à l’appel et aux initiatives qui seront rendus publics ce jeudi en protestation de ce qu’il faut bien appeler une censure. Voir à partir de jeudi soir sur politis.fr

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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