Une voix privée de micro !

Tandis que les radios préparent leur rentrée, Alain Maneval, grande figure
des studios et des programmes musicaux, reste toujours écarté du paysage.

Jean-Claude Renard  • 11 juillet 2013 abonné·es

Visage émacié et frêle corps. Un brin dégingandé. Une envergure d’albatros, arc-boutée sur un pommeau argenté surmonté d’une vanité. Et puis cette voix. Ajourée par la vie, voilée par le tabac. Limpide. Chaude, c’est peu dire. Une voix de radio en somme. Qui n’en fait plus, et qui lui manque. Immensément. Alain Maneval est persona non grata sur l’antenne.

Pourtant, Maneval reste une figure de la radio. Élevé sous l’influence théâtrale de Brecht, au mitan des années 1970, il affûte ses cordes vocales dans l’encolure des Sex Pistols, des Clash, et des Stranglers, agite déjà les radios libres. En 1978, il intègre Europe 1 pour animer « Po-Go », à traduire par la danse des dingues, rendez-vous musical ambitieux, versé dans la contre-culture. Pas longtemps. Il est viré sitôt après son appel au boycott de Shell hurlé dans le micro. Critiquer le plus gros annonceur de la station, responsable du naufrage de l’ Amoco Cadiz et de la marée noire, ça ne se fait pas. Il attend trois ans avant de revenir à Europe, avec succès. Il sophistique, invente une autre grammaire radiophonique. Entre musiques punk, rock et déjà le hip-hop, Maneval possède le tempo des lyrismes, les consistances des rythmes, des filigranes de joliesses, dentelles d’ondes. À l’occasion, il imite les mouettes et les riffs de guitare de ses groupes préférés. Avec la même intensité, de 1982 à 1984, il anime sur TF1, encore public, « Mégahertz », et reçoit les rappeurs du Bronx, les artistes du graff’ américain. Il quitte Europe 1 en 1990 pour créer 2M, première télévision marocaine à péage. Deux ans plus tard, il devient directeur des programmes d’Arte, contribue (fièrement) aux premiers pas hertziens de la chaîne calée dans l’exigence, et présente un nouveau magazine musical, « Dynamo ». Maneval est un récidiviste. Légitimité comprise. En 2009, il revient à la radio, durant l’été, sur France Inter, sous l’égide de Jean-Paul Cluzel et patronné par Frédéric Schlesinger, avec « Bon Esprit ». Toujours cette voix de velours, griffée d’escapades dans le punk berlinois et le rock londonien. Carton d’audience. Depuis, le micro s’est tu. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. « Quand il me croise, Jean-Luc Hees se carapate aussitôt ! Quant à Philippe Val, il ne m’a jamais même répondu, malgré plusieurs demandes de rendez-vous ! Ce ne sont pas mes potes, et je ne les fréquente pas, je ne vais pas dans les dîners en ville avec eux… » Même silence à Europe 1. « Je ne vais tout de même pas envoyer un projet écrit pour faire de la radio ! » Aujourd’hui, André Manoukian s’est installé sur France Inter, au quotidien (« La vérité est dans le juke-box »). Une émission rafistolée, sans vocation. Ni miracle. L’ancien juré de la « Nouvelle Star », sur M6, aura sa chronique à la rentrée. C’est un choix.

Maneval a « sa petite personnalité ». Trimbalant ses fragilités et folies douces, en entrepreneur qui a envie de faire, de raconter, éclaboussant alentour son énergie permanente trempée dans la marginalisation. Sans concession. Il refuse l’allégeance, les compromis, la fripouille, les cons et la connerie. Un point c’est tout. Sans mettre d’exclamation. « S’il faut faire la “Star Ac’” ou “Nouvelle Star” pour avoir accès au service public, non merci. » Une cassole d’orgueil et de modestie. Un plein fagot de désinvolture pâmée dans les délices de l’existence, qui ne lui a rien épargné. À 60 bougies et lerche, Maneval n’a peur de rien. Et s’affiche tel qu’il est. Séropo depuis vingt ans, il a pris le temps de plier la maladie à sa pogne. Abusant, amusé, il en a fait un documentaire heureux, Vivre au positif (diffusé sur Arte en avril dernier). Il est un survivant, il le sait. « Quoi qu’il se passe dans notre vie, disait Deleuze, on est toujours au milieu. » De quoi nourrir des projets. L’un sur « les enfants de Mégahertz », nourri de ses archives, un autre doc sur les années punk. Et surtout, faire du direct, ouvert aux jeunes artistes, « dans un mélange des genres, et l’air du temps, avec une programmation personnelle. Et sans Carla Bruni, c’est évident ». Mais voilà : « Les décideurs sont hors du temps. J’attends qu’il y ait du changement sur le service public, la fin des mandats, le retour des créatifs et pas celui des énarques ». En attendant, il compte produire un docu sur Rachid Taha, cet autre retors aux calembredaines, dont il avait assuré la toute première télé aux débuts des années 1980. Élégance suprême.

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