Aider le peuple syrien !

Dans quelles mains tomberait la Syrie ? Nul ne peut le dire. Mais nous savons dans quelles mains, pleines de sang, est le pays aujourd’hui.

Denis Sieffert  • 29 août 2013 abonné·es

Il subsistera hélas de ce mois d’août 2013 le souvenir de deux effroyables tragédies, l’une et l’autre dans un monde arabe incandescent. Le 14, l’armée égyptienne donnait l’assaut à plusieurs rassemblements favorables au retour de l’ex-président Mohamed Morsi, destitué début juillet. On a compté par centaines le nombre des victimes. Une semaine plus tard, c’est de Syrie que nous parvenaient d’autres images, tout aussi terribles. L’armée de Bachar al-Assad venait, en pleine nuit, de répandre un gaz mortel sur la population de la banlieue ouest de Damas, brûlant les poumons de 1 300 civils, hommes, femmes et enfants, asphyxiés dans leur sommeil.

Ces deux événements interpellent évidemment nos consciences. Que faut-il faire ? Que faut-il souhaiter que l’on fasse ? En posant cette question, me revient en mémoire la réponse que fit Claude Cheysson, en 1981, au lendemain du coup de force militaire du général Jaruzelski en Pologne : « Évidemment, nous ne ferons rien », avait lancé, provocateur, le ministre de François Mitterrand. J’avais aimé cette sortie iconoclaste pour sa franchise et le dépit qu’elle traduisait chez cet homme de qualité. À tout prendre, cela valait mieux que les coups de menton hypocrites, et les rodomontades. La situation est aujourd’hui fort différente, mais on ne peut exclure que la réponse soit la même. C’est une certitude déjà en ce qui concerne l’Égypte. Pour être bien sûrs de n’avoir pas à agir, les États-Unis ont même décidé que le renversement par l’armée d’un président élu démocratiquement n’était pas un « coup d’État ». Il n’y a donc pas lieu d’imaginer la moindre sanction. Cette armée de guerre civile, et principale puissance économique du pays, continuera d’être grassement subventionnée. Pour les Occidentaux, les choses sont évidemment plus compliquées en Syrie. C’est d’une certaine façon la faute de Barack Obama lui-même. Voici tout juste un an, le Président américain, cherchant de bonnes raisons de ne jamais intervenir, s’était trouvé un argument : on romprait avec cette résignation si le régime de Damas en venait à utiliser l’arme chimique contre son peuple. En fait, Bachar al-Assad n’a pas tardé à franchir la fameuse « ligne rouge », mais progressivement, et à petite échelle. Jusqu’à ce 21 août. Aujourd’hui, chacun a bien compris ce qui se jouait : s’il ne se passe rien, tout désormais sera permis au clan Assad. Il nous faudra définitivement tourner la tête et regarder ailleurs. Au fond, pourquoi pas ? Les arguments ne manquent pas en faveur de cette option. Nul ne connaît le mode opératoire miracle qui épargnerait le plus de vies humaines, et personne ne peut prédire les conséquences d’une intervention militaire d’envergure. Une intervention que, d’ailleurs, les opposants syriens ne demandent pas, ni ne souhaitent. Et puis, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire ici même, à propos de la Syrie deux grilles de lecture s’affrontent qui ont chacune leur pertinence.

À l’intérieur, c’est bien d’une révolution dont il s’agit depuis mars 2011, contre l’une des pires dictatures de la planète. Mais, à l’extérieur, les grandes manœuvres stratégiques se multiplient. Les arrière-pensées se bousculent. Elles sont américaines, israéliennes, saoudiennes, qataries, et j’en passe, dans une région gorgée de pétrole et où tout est brouillé par le conflit israélo-palestinien. S’il est ridicule de croire à un complot (comme si les enfants de Deraa avaient été financés par la CIA ou le Mossad !), chacun espère tout de même un effet d’aubaine. Et ces préoccupations, qui n’ont rien à voir avec le sort du peuple syrien, ont aussi, peu à peu, pénétré le sein même de la rébellion, renforçant la crainte du « jour d’après ». Dans quelles mains tomberait le pays ? Nul ne peut le dire. Mais nous savons dans quelles mains, pleines de sang, il est aujourd’hui. C’est pourquoi, pour notre part, sans naïveté ni aveuglement, c’est la grille de lecture intérieure qui l’emporte. Celle d’un peuple qui lutte pour sa liberté et qu’on ne peut abandonner. Faut-il pour autant appeler de nos vœux les bombes américaines ? Évidemment non. Au moment où j’écris ces lignes, l’option qui prévaut est celle de missiles qui seraient lancés depuis un destroyer sur des cibles militaires syriennes. Les motivations de l’administration américaine sont claires. Il s’agit de sauver la face dans le grand jeu diplomatique. On ne peut soutenir cette option qui peut aussi bien être le début d’un fol engrenage qu’une gesticulation sans lendemain.

La seule solution reste donc, selon nous, l’armement des courants laïques et progressistes au sein de la rébellion afin de leur donner les moyens de se défendre par eux-mêmes contre la barbarie du régime, mais aussi de reprendre le dessus au sein de l’insurrection face aux factions jihadistes les plus extrémistes. C’est-à-dire de s’inscrire dans le mouvement révolutionnaire, et non en dehors de lui pour quelque motivation inavouable. Il est vrai que la désorganisation de l’insurrection et ses divisions n’ont jusqu’ici rien facilité, mais il n’y a sans doute pas d’autre voie. Quant aux spéculations sur l’avenir et à la peur des islamistes, elles ne peuvent justifier ni un soutien déguisé à Bachar al-Assad en Syrie ni à des militaires nostalgiques de Moubarak, en Égypte. **

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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