Dossier Front de gauche : chacun son explication

En dépit des distances prises avec le Parti socialiste, le Front de gauche ne profite pas du recul du gouvernement. Plusieurs raisons sont avancées.

Michel Soudais  • 12 septembre 2013 abonné·es

Le Front de gauche s’interroge. Et doute. L’optimisme et l’enjouement de la campagne présidentielle ont cédé la place à une forme de désarroi teinté de fatalisme. En cause, la politique conduite par le gouvernement depuis son installation. Une situation que beaucoup de militants résument d’une phrase : « On n’espérait rien de ce gouvernement et il a quand même réussi à nous décevoir. » Face à cette déception, l’impuissance du Front de gauche à enrayer les choix du gouvernement est également questionnée. En plusieurs occasions, le Front de gauche est descendu dans la rue : pour refuser le traité budgétaire européen, s’opposer à la retranscription de l’accord national interprofessionnel sur l’emploi, réclamer une amnistie des syndicalistes et militants associatifs et écologistes, le passage à une VIe République… Ses parlementaires ont tempêté contre toutes les facettes d’une « politique d’austérité incapable de relancer l’activité et de sortir de la crise »  ; ils ont refusé de voter la confiance au gouvernement, se sont abstenus sur le budget, ont voté contre le crédit d’impôt compétitivité emploi. Sans succès. Plus troublant, malgré ces prises de distance, le Front de gauche ne profite pas de la chute de popularité du gouvernement. Dans les élections partielles, les candidats du PS reculent sans que les siens ne progressent de manière significative. Alors que le FN de Marine Le Pen a réussi à capter la colère populaire : une première fois en mars dans la 2e circonscription de l’Oise, ancrée à droite ; mi-juin ensuite à Villeneuve-sur-Lot, lors de la législative organisée – sur une terre de gauche cette fois – pour pourvoir au remplacement de Jérôme Cahuzac. Après cette contre-performance, des militants avaient publiquement mis en cause la stratégie du Front de gauche. « Les élections partielles ne se sont pas tenues dans les endroits les plus simples pour nous, ni là où nous étions le mieux implantés », relativise la communiste Marie-Pierre Vieu. « Elles ne reflètent pas la réalité du Front de gauche », minimise également Éric Coquerel. Le secrétaire national aux relations extérieures du Parti de gauche (PG) concède toutefois que la direction du Front de gauche « a commis une faute » en accordant peu d’importance à ces élections. « Nous n’avons pas pris en compte leur caractère national. » Marquées par une « forte abstention de l’électorat traditionnel du PS », les partielles « reflètent d’abord la critique de la politique du gouvernement », analyse le syndicaliste Pierre Khalfa. Pierre-François Grond, ancien dirigeant du NPA, aujourd’hui l’un des animateurs de la Gauche anticapitaliste (GA), pointe l’absence de mobilisation sociale. « La politique du gouvernement, soutenue par la direction du PS, que je ne confonds pas avec les militants socialistes, provoque de la colère, du découragement, de la division et une démobilisation dans les rangs du peuple », renchérit Christian Picquet, porte-parole de la Gauche unitaire (GU).

Marie-Pierre Vieu admet néanmoins que ces scrutins dessinent « une tendance » que le Front de gauche doit traiter. À commencer par le fait de ne pas apparaître, aux yeux des électeurs, comme « une alternative crédible au gouvernement ». Un constat partagé par l’ensemble de ses composantes. La faute au parler cru et dru de Jean-Luc Mélenchon ? « Certaines expressions ne sont pas heureuses, admet Christian Picquet, mais c’est aussi ça qui fait qu’on se fait entendre », philosophe-t-il. Afin de remédier à ce manque de crédibilité, le porte-parole de la GU souhaiterait plutôt que le Front de gauche s’engage sur « quelques axes qui relèvent de l’urgence mais sont susceptibles d’être gagnés » et la « recherche d’alliances capables de faire bouger le rapport de force au sein de la gauche ». Un troisième chantier consisterait, selon Christian Picquet, à attirer des milliers de militants associatifs et syndicaux afin d’irriguer le Front de gauche de leur expertise. Et de contribuer à relancer sa dynamique. Pour Pierre Khalfa, qui est l’un de ces militants venus dans la campagne 2012, le Front de gauche paie son incapacité à « profiter de la dynamique présidentielle ». « Au lieu d’ouvrir portes et fenêtres pour permettre aux dizaines de milliers de personnes qui s’étaient investies dans la campagne d’entrer dans le Front de gauche, déplore-t-il, celui-ci est resté un cartel d’organisations. » Un point de vue partagé par Pierre-François Grond, mais également par Clémentine Autain, qui se fait l’interprète d’un « mécontentement dans les structures de base ». Au lieu de refonder ses structures pour les relégitimer, « le Front de gauche a continué à vivre sur les instances de la présidentielle sans passer la seconde », déplore la porte-parole de la Fase. Selon elle, il aurait fallu donner des moyens aux fronts thématiques et au front de luttes, et un vrai rôle au conseil national. La composition de cette structure créée lors de la présidentielle comme un conseil de campagne, constituée à parts égales de représentants des partis et de personnalités (intellectuels, artistes, militants associatifs et syndicaux), devait être revue et élargie. Mais cette décision n’a pas été mise en œuvre. Résultat : des difficultés de fonctionnement l’ont empêchée d’être « un véritable lieu de débat, de confrontation et d’homogénéisation du Front de gauche », déplore Pierre Khalfa.

Le PG et le PCF relativisent l’importance de ces questions, tout en admettant qu’elles ne sont « pas mauvaises ». Simplement, happés par la situation politique nouvelle, ils n’ont pas eu le temps de s’y atteler. « Si on veut construire une majorité alternative, s’agace Éric Coquerel, il va falloir arrêter de se tourner vers nous pour se tourner vers l’extérieur et savoir comment aller chercher les socialistes de gauche, les écologistes d’EELV… » « Il y a une tendance, quand on est face à des difficultés à chercher les responsabilités en notre sein », regrette Marie-Pierre Vieu, qui appelle au sang-froid. La préparation des municipales en requerrait. Car le sujet échauffe les esprits en cette rentrée. Personnes ne nie l’existence d’un « vrai débat » sur cette question, mais l’exacerbation des enjeux conduit à des caricatures. Le PG est soupçonné de n’accorder aucune importance à ces élections, quand le PCF est suspecté de tout subordonner à cet objectif. Le Front de gauche « pâtit de son manque d’unité », note Clémentine Autain. « Nous nous sommes pris les pieds dans le tapis, regrette Christian Picquet. Plutôt que de paraître nous diviser sur la tactique, ce qui donne toujours une mauvaise image, nous aurions dû avancer tous ensemble des propositions municipales et en tirer des conclusions locales. » Si la plupart des formations se disent disposées à respecter les rythmes de discussion interne au PCF, prêtes également à tenir compte des situations locales, « en faire une stratégie poserait problème », avertit Éric Coquerel. Quand Pierre Laurent, selon des propos rapportés par la presse, assigne comme « objectifs clairs » à son parti, en clôture de son université d’été, de « battre la droite partout, barrer la route aux appétits de l’extrême droite et réélire des majorités de gauche », sans préciser sur quels contenus, « il tourne le dos à ce qui faisait accord entre nous », s’inquiète Clémentine Autain. « Cela va à l’encontre de notre projet de majorité alternative », précise Éric Coquerel, qui attend des éclaircissements.

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Front de gauche : Pourquoi ça coince
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