Géopolitique du pire

Si la politique internationale est peu présente sur les radios nationales, certains de ses commentateurs, comme Frédéric Encel, laissent perplexe. Décryptage.

Jean-Claude Renard  • 26 septembre 2013 abonné·es

On l’a souvent dit : l’actualité internationale occupe peu les antennes. C’est aussi vrai, sinon plus, pour la géopolitique internationale. Sur RTL, Alain Duhamel y va de sa chronique quotidienne à 18 h 30, dans la tranche animée par Marc-Olivier Fogiel. L’inamovible journaliste (déjà au Monde en 1963 !), passé par France Culture et Europe 1, se tourne principalement vers la politique intérieure. L’académicien des sciences morales et politiques sort des frontières de l’Hexagone quand l’actualité internationale l’y oblige. C’est naturellement le cas pour la Syrie.

Sur Europe 1, transfuge de France Culture, c’est Alexandre Adler qui officie, également dans la tranche d’info 18 h/19 h, présentée par Nicolas Poincaré. D’abord universitaire, Adler a entamé sa carrière de journaliste à Libération, aux débuts des années 1980, avant d’exercer au Monde, à Courrier international, au Point, au Figaro. Dans les années 2000, l’ancien militant du Parti communiste prend un virage atlantiste pour défendre la politique de Bush junior, appelle à voter Sarkozy, affiche ouvertement ses opinions pro-israéliennes. S’il a le mérite de ne pas masquer ses positions, il se distingue en radio par ses airs de Monsieur de Norpois, personnage proustien de la Recherche, vieux diplomate, solennel raseur, au vocabulaire un brin ampoulé, qui cherche à donner l’impression qu’il en sait plus qu’il n’en dit. Sur France Inter, plus significative en termes d’audience est la chronique quotidienne de Bernard Guetta (que Nadine Morano n’identifie qu’en demi-frère de David Guetta), dans la matinale de France Inter, à 8 h 15. Passé, comme Edwy Plenel, par « l’école » du trotskisme, Guetta a inauguré son métier de journaliste au Nouvel Observateur, en 1971. Entré au Monde en 1979, il est d’abord correspondant en Pologne (et reçoit le prix Albert-Londres) puis en poste aux États-Unis et à Moscou. En 1990, il rate la direction du Monde et entre à Inter. Bourlingueur chevronné, c’est peu dire. C’est aussi la marque de fabrique d’une rubrique qui requiert du bagage, sachant que toute crise internationale possède ses années d’épaisseur. Analyste avisé qui ne craint pas d’apporter de la complexité – ce qui est rare dans les formats courts –, Guetta a un talon d’Achille : l’Europe, dont il est un militant enflammé et rarement critique. Sur la même station s’est ajouté en cette rentrée Frédéric Encel, du lundi au jeudi à 18 h 15. Diantre ! Deux chroniques de géopolitique sur la même station ! C’est ce qu’on appelle du « sur-mesure » pour ce proche de Philippe Val, dont il partage les engagements, notamment à propos du Proche-Orient. Mais ne fait pas de la radio qui veut. Parler dans un micro, c’est aussi savoir respirer. Encel ne joue pas du diaphragme et finit par s’étouffer. Mais il ne manque ni d’entregent ni d’aplomb. Il se présente comme docteur en géopolitique, professeur de relations internationales à l’ESG Management School, maître de conférences à Sciences Po, spécialiste du Moyen-Orient. Dans la rubrique « Enseignement » de son propre site, il ajoute l’ENA, au seul motif qu’il y donne des conférences. Hasard de confusions dans les appellations sans doute. Soit.

Mais le professeur Encel, qui s’est forgé un titre d’expert, oublie surtout (et soigneusement), dans ce qui ressemble à un bottin chargé de diplômes, de préciser qu’il est un ancien membre du Betar (l’extrême droite sioniste), lobbyiste intarissable d’une politique israélienne belliciste et annexionniste, admirateur d’Ariel Sharon et de Jabotinsky (autre extrémiste de droite israélien). Encel pratique ainsi ce qu’on appelle la technique de l’estompage en stylistique : il efface ses engagements communautaristes pour apparaître en expert neutre. L’homme a une double vie : politologue dans les grands médias, lobbyiste dans la presse communautaire. En 2004, déjà, Pascal Boniface, directeur de l’Iris, écrivait :  « C’est tout à fait le droit de M. Encel d’avoir appartenu à cette organisation extrémiste. Mais pourquoi le cacher et se présenter comme tout à fait neutre dans cette affaire ?  » Neuf ans après, la question reste d’actualité.

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