Gilbert Achcar : Permettre au peuple syrien l’autodéfense

Extraits d’un texte de Gilbert Achcar paru le 31 août sur le site Open Democracy. Il propose l’une des meilleures analyses lues sur le sujet.

Gilbert Achcar  • 12 septembre 2013 abonné·es

L’action militaire que Washington envisage consiste à administrer au régime criminel syrien quelques coups militaires afin de le « punir » de son utilisation d’armes chimiques contre des civils. Je n’ai guère de doute quant au fait que le régime syrien a eu recours à de telles armes dans son attaque barbare contre le peuple syrien. Il sera toutefois difficile à l’équipe d’inspecteurs de l’ONU, qui n’a été autorisée à se rendre sur les lieux du crime que plusieurs jours après qu’il eut été perpétré, de trouver une preuve accablante. […]

Mais tout cela mène à poser la question suivante : est-il plus grave de tuer jusqu’à 1 500 personnes avec des armes chimiques que d’en tuer plus de 100 000 au moyen d’armes « conventionnelles » ? Pourquoi donc Washington souhaite-t-il frapper maintenant, tout à coup, après avoir placidement observé le peuple syrien se faire massacrer, son pays être dévasté et des survivants par millions devenir des réfugiés et des personnes déplacées ? En vérité, les frappes envisagées ont pour seul but de restaurer la « crédibilité » des États-Unis et de leurs alliés face à une alliance des gouvernements syrien, iranien et russe […]. Cependant, en refusant au courant majoritaire de l’opposition syrienne les armes défensives antiaériennes et antichars qu’il réclame depuis presque deux ans, tandis que la Russie et l’Iran fournissaient avec abondance le régime syrien en armes (et, récemment, en combattants dépêchés par l’Iran et par ses alliés régionaux), l’administration états-unienne n’a fait que produire deux résultats. D’une part, elle a permis au régime syrien de conserver le dessus militairement et de se convaincre ainsi qu’il pourrait emporter la victoire ; en conséquence, le régime ne s’est senti nullement obligé de faire quelque concession que ce soit.

D’autre part, les réseaux jihadistes qui étaient déjà actifs en Irak voisin (où le régime syrien lui-même contribua à leur développement) ont été capables de s’imposer comme une composante importante du soulèvement syrien en bénéficiant de fonds généreux en provenance de sources wahhabites, et après avoir été propulsés initialement par le régime syrien lui-même (y compris par la libération de jihadistes des prisons syriennes au début du soulèvement, le régime souhaitant conférer à la révolte populaire un caractère intégriste sunnite) […]. Les puissances occidentales se seraient-elles véritablement souciées du peuple syrien – ou, même, Washington aurait-il été plus intelligent en cherchant à créer les conditions pour le compromis qu’il recherche –, il leur aurait été facile d’équiper l’opposition syrienne avec des armes défensives et de permettre ainsi au soulèvement de renverser le cours de la guerre de façon à provoquer une rupture du régime.

Sans un tournant décisif dans la guerre civile syrienne au détriment du régime, ce dernier restera intransigeant et uni autour du clan Assad, et la guerre se poursuivra avec ses conséquences terribles […]. Face aux horribles crimes perpétrés par le régime Assad, avec le soutien de la Russie, de l’Iran et des alliés de celui-ci, il est du devoir de toutes celles et ceux qui affirment défendre le droit des peuples à l’autodétermination d’aider le peuple syrien à obtenir les moyens de son autodéfense.

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