L’ombre du conflit israélo-palestinien

Chacun ayant sauvé la face, Bachar pourrait continuer de massacrer son peuple… à condition que ce soit avec des armes conventionnelles.

Denis Sieffert  • 12 septembre 2013 abonné·es

Tout mobilisés que nous sommes par la tragédie syrienne, on en oublierait presque un anniversaire qui est pourtant bien plus qu’une simple évocation du passé : il y a vingt ans ce 13 septembre, dans les jardins de la Maison Blanche, Rabin et Arafat signaient les accords d’Oslo. Fol espoir et terrible désillusion ! En fait, le rappel de cet événement ne nous éloigne que très peu de la situation en Syrie. Alors que toutes sortes de raisons sont avancées pour expliquer l’hostilité des opinions publiques à une intervention militaire directe contre le régime de Damas, on en oublie une, pourtant de première importance : l’attitude des États-Unis, et à un degré moindre des Européens, dans le conflit israélo-palestinien.

Les peuples sont à la fois incrédules, las et inquiets. Incrédules, en raison bien sûr des mensonges proférés par l’administration américaine en 2003 pour justifier la guerre en Irak. Las, parce que depuis deux décennies les opérations militaires occidentales se sont multipliées, engendrant parfois plus de désastres que de bienfaits. Inquiets, parce que le développement des révolutions arabes montre que les lendemains peuvent déchanter. Mais il y a aussi la mauvaise foi de l’administration américaine quand il s’agit de justifier le pire de la politique israélienne. Or cette réalité, qui ruine toute prétention des États-Unis à incarner le droit, n’épargne pas Barack Obama. Si l’actuel président n’a rien à voir avec le mensonge de 2003 à propos de l’Irak, il est coupable d’assurer une triste continuité dans le conflit israélo-palestinien. Comment reprocher le blocage russe au Conseil de sécurité quand on détient le record absolu du veto, et cela, presque toujours au bénéfice d’Israël, pour justifier les pires exactions de l’État hébreu ? C’est à cause de ce soutien que, depuis vingt ans, la colonisation n’a cessé de galoper. Et aujourd’hui, M. Netanyahou peut continuer d’opérer avec cynisme, le grand parrain américain veille au grain. C’est hélas une longue et malheureuse tradition que perpétue Barack Obama. Dès juillet 1973, les États-Unis bloquaient déjà une résolution qui ne faisait que « déplorer » l’occupation des Territoires palestiniens. En janvier 1988, c’est un appel au respect par Israël « de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre » qui était bloqué par Washington, alors que la première Intifada était durement réprimée. C’est dire que les États-Unis n’ont laissé passer aucune protestation, aucun sermon, aucun froncement de sourcils à l’adresse de leur protégé. Voilà une rupture que l’on aurait pu espérer de la part de Barack Obama. Au contraire, l’actuel président s’est illustré, en novembre dernier, en rendant impossible la reconnaissance de plein droit de la Palestine à l’ONU.

Depuis 1967, huit présidents des États-Unis, de Johnson à Obama, ont ainsi grossièrement foulé aux pieds le droit international et paralysé les instances onusiennes sur ce dossier (exception faite pour le neuvième, Jimmy Carter, entre 1977 et 1981). Ce n’est pas tant le passé qu’il nous importe d’évoquer ici, que l’héritage revendiqué par Barack Obama. On ne sache pas que l’actuel président soit fier que son pays ait contribué à l’assassinat de Salvador Allende en  1973, au Chili. Il semble fier, en revanche, du mépris grossier du droit quand il s’agit du conflit israélo-palestinien. Et, ce faisant, il conforte l’idée qu’il y a un « bon côté » de l’histoire, celui du plus fort qui peut tout se permettre, et un « mauvais » qui vous condamne aux foudres de l’armée américaine. Cette attitude est doublement catastrophique. Moins d’ailleurs parce qu’elle discrédite les États-Unis, que parce qu’elle pare Bachar al-Assad, comme naguère Kadhafi, de vertus de résistants à l’impérialisme qu’ils n’ont pas. Elle sème la confusion dans les opinions fondées à voir partout des arrière-pensées américano-israéliennes.

C’est une des raisons pour lesquelles toute opération militaire directe des États-Unis (et de la France) en Syrie suscite tant de méfiance. Il ne faudrait pas pour autant que cette méfiance justifie l’abandon du peuple syrien à son sort. La nouvelle proposition russe de placer sous contrôle international l’arsenal chimique de Damas semble parfaite pour tirer tout le monde de l’impasse. Aussi bien Moscou que Washington et Paris. On ne voit que trop ce qui pourrait arriver ensuite : chacun ayant sauvé la face, Bachar pourrait continuer de massacrer son peuple… à condition que ce soit avec des armes conventionnelles. Et c’est pourquoi seule serait crédible et efficace une aide financière et logistique apportée aux courants laïques de la rébellion. Plus que jamais, c’est notre conviction.

La Fête de l’Huma

Comme chaque année, Politis sera présent dans le Village du livre. Nous avons avec nos lecteurs plusieurs rendez-vous : samedi à 17 h, avec Christophe Kantcheff, pour son livre consacré à Robert Guédiguian, en présence du cinéaste. Dimanche, à 11 h, Thierry Brun dédicacera son livre Qui veut tuer La Poste ? Un pot suivra, à midi, avec la rédaction.

Enfin, samedi à 15 h, j’animerai un débat sur le stand de la Gauche unitaire sur le thème prometteur « Changer de cap à gauche » (voir précisions dans notre agenda, page 30).

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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