Poésie de l’empêchement

Dans Amédée , Côme de Bellescize aborde l’euthanasie avec humour et sans moralisme.

Anaïs Heluin  • 12 septembre 2013 abonné·es

Fougueux et désordonné, plein d’une belle soif de découvrir et d’aimer, le héros éponyme d’ Amédée, de Côme de Bellescize, incarne une jeunesse au regard porté vers l’avant. Tout ce qu’il fait, n’importe quel garçon de son âge le fait aussi. Pour accéder au statut de personnage, il lui manque un petit quelque chose. Une originalité, une profondeur psychologique. En même temps, il a quelque chose en plus : son prénom aux consonances antiques, le même que le protagoniste de Ionesco dans Amédée ou comment s’en débarrasser (1954). Associé à l’énergique banalité que Benjamin Wangermée porte sur scène au début de la pièce, ce prénom est créateur d’étrangeté. De tragique et d’absurde, aussi, qui surgissent en même temps qu’un camion à la dérive, cause de l’accident d’Amédée et de sa tétraplégie.

Là, le rythme effréné des premières minutes s’altère. Le jeu des acteurs gagne en nuances, il oscille entre rire et larmes tandis que le décor devient mouvant. Jeux de lumière ; écrans affichant tantôt les lignes d’un électrocardiogramme, tantôt les quelques mots écrits par Amédée grâce à une télécommande ; cube mobile et transparent accueillant les comédiens… Autant d’éléments qui traduisent et accompagnent le basculement de la pièce dans le monde du handicap. Un monde où les contraires se côtoient, où onirisme et vulgarité participent d’une même poésie de l’empêchement. Un cauchemar qui parle d’amour et de mort, d’amitié et de haine avec délicatesse et, surtout, sans pathos.

C’est là la grande réussite de Côme de Bellescize, qui, grâce à sa dramaturgie tout en fragments, parvient à dire la complexité d’une âme prisonnière d’un corps pétrifié. Interprétés par des comédiens maîtrisant à la perfection le tragicomique, les huit personnages secondaires participent d’un récit choral mosaïque, comme les sentiments que suscite la question de l’euthanasie au sein de l’opinion publique. Si elle n’est abordée de manière explicite qu’à la fin, cette question sous-tend chaque réplique, chaque geste d’ Amédée. L’inquiète dévotion de la mère (Maury Deschamps), la frénésie sexuelle de la petite amie (Éléonore Joncquez) ou encore les envolées poétiques du capitaine des pompiers (Éric Challier) en explorent toutes les facettes. Amédée aussi, qui échappe à son immobilité en dialoguant avec Clov (clownesque Florent Guyot), un ami imaginaire. D’où une polyphonie qui tire sa grâce de son absence de parti pris, de sa précarité.

Théâtre
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