Visa pour l’image : La gueule du monde

À Perpignan, Visa pour l’image propose sa vingt-cinquième édition. Un regard posé à la fois sur l’actualité et l’intimité de la planète.

Jean-Claude Renard  • 5 septembre 2013
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Un quart de siècle, ça commence à faire un âge certain. Quand Visa pour l’image inaugurait sa manifestation, en 1989, l’actualité était tout autre. Celle d’un temps révolu. Avènement du numérique oblige, avec une maîtrise technique de l’appareil toujours plus aisée, tout le monde se veut photographe. Encore faut-il savoir raconter une histoire, témoigner, dire le monde dans cette jungle de l’information rapide. Raconter une histoire : c’est exactement cela, Visa pour l’image. Avec des reportages de quarante à cinquante photos exposés au sein du patrimoine architectural de la cité, certains gouvernés par l’actualité (la Syrie, les émeutes en Turquie, la République démocratique du Congo), d’autres articulés autour de sujets plus méconnus, originaux, pas moins ancrés dans les soubresauts du monde. Ainsi Darcy Padilla, qui a suivi le parcours de Julie pendant dix-huit ans. Des années marquées par le sida, la précarité, la drogue, les naissances et les ruptures. Une rencontre opérée en 1993 à San Francisco, dans un quartier de soupes populaires et de chambres miteuses, quand Julie a 20 ans, pieds nus, débraillée, un bébé de 8 jours dans les bras. Cinq ans plus tard, elle perd la garde de ses deux premiers mouflets. Avec Jason, également séropo, elle aura une fille, Elyssa, en 2008, élevée dans l’isolement et le dénuement de l’Alaska. Julie meurt en 2010, au bout des soins palliatifs.

Loin de terminer son portrait, la photographe a repris l’objectif pour s’attacher à Jason et sa fille, l’homme vivotant d’une pension d’invalidité et de petits boulots, de marijuana sur ordonnance. Aujourd’hui, la gamine vit chez sa tante ; elle a pris son premier bain dans une baignoire à 4 ans. En noir et blanc, les images de Padilla se veulent très rapprochées des corps martyrisés, crues et cruelles, sans pathos tremblotant, sans voyeurisme, au gré de tranches de vie enfoncées dans la mistoufle. L’histoire de cette déchéance a pour titre « Tout finira par s’arranger ». C’est pas gagné.

Changement de décor. Haïti. Vlad Sokhin s’est posé entre 2012 et 2013 à Port-au-Prince, touché par le séisme deux ans plus tôt. Un million de personnes ont perdu leur maison. Un grand nombre d’enfants se sont retrouvés sans domicile, ont été donnés par leurs parents comme esclaves domestiques. On les appelle les « restavèks », dérivé du français « reste avec ». La pratique était déjà courante, elle s’est développée. Entre 7 et 16 ans, on accomplit les besognes ménagères, on tient boutique, on reçoit des coups, beaucoup, et peu de repas avalés dans l’écuelle. Une existence d’interdits et de réprimandes, sans éducation scolaire, ni jouet, ni droits, saisie sobrement, dans la discrétion et les couleurs de l’île, en plans larges et moyens. Autre histoire que celle racontée par Andrea Star Reese, en Indonésie, en 2011 et 2012, auprès des malades mentaux placés dans les institutions, les foyers, les hôpitaux. Les plus chanceux sont soignés avec des médicaments périmés. Beaucoup n’ont jamais été examinés par un psychiatre. Le récit souligne les problèmes d’accès aux soins, de coût des traitements. L’image est plus âpre encore : dans la couleur saturée et l’intimité des établissements grouillant de rats, de cages en cellules, de barreaux en volets clos, où vivent les malades, pour beaucoup enchaînés, en guenilles, dépoitraillés, affamés, aspergés d’eau, abreuvés de décoctions de plantes, Reese saisit sans détours l’insupportable et l’outrance. Les inspecteurs du ministère de la Santé « viennent, jettent à peine un coup d’œil et puis s’en vont ». Et puis c’est tout.

**Visa pour l’image** , Perpignan, jusqu’au 15 septembre, www.visapourlimage.com. Entrée libre.
Culture
Temps de lecture : 3 minutes
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