Visa pour l’image : la nécessaire légèreté de l’être

À Perpignan, à côté de reportages sombres, les images de Muhammed Muheisen déclinent une heureuse poésie, extirpée des conflits tragiques.

Jean-Claude Renard  • 12 septembre 2013 abonné·es

Les Syriens dérouillant sous la botte de leur dirigeant, des enfants victimes d’esclavage moderne en Haïti, des malades mentaux traités ignoblement en Indonésie, les émeutes à Istanbul, la République démocratique du Congo ravagée par les conflits, les femmes pachtounes, dans les zones tribales du Pakistan, victimes des pires discriminations, la pacification aux forceps dans les bidonvilles de Rio, le portrait d’une violence domestique aux États-Unis, histoire intime et universelle… Tels sont les reportages marquants de cette édition Visa pour l’image 2013.

Les soubresauts d’un monde décidément mal en point, Muhammed Muheisen connaît. Voilà une décennie que le photographe jordanien, né en 1981 à Jérusalem, arpente des lieux dont le seul point commun serait le conflit. La rétrospective que lui consacre le festival, ramassée sur une poignée d’années, en rend compte : en avril 2004, il est aux pieds d’une carcasse de char américain à Bagdad ; en juillet 2006, il saisit l’accrochage entre un Palestinien et un soldat israélien lors d’un mariage célébré, en guise de protestation, près du mur de séparation, et l’intervention qui suit de la police dispersant la foule ; entre 2011 et 2012, au Yémen, il suit les manifestations réclamant la démission du président Saleh, insiste sur la détermination des manifestants à coups de plans isolés, rapprochés ; ce même été 2012, à Alep, auprès des combattants de l’Armée syrienne libre (ASL), il cadre un soldat au repos, les décombres de la ville, se concentre sur les enfants victimes des bombardements, sans abri. Mais dans le tombeau des horreurs, des photographies sombres, des corps disloqués, martyrisés et crevés, exposés à Perpignan, Muheisen signe aussi des images à la marge, dont l’état d’esprit pourrait être une soutenable légèreté du photojournalisme. Les déflagrations n’enlèvent pas une certaine poésie, saisie à la volée. Tel ce vendeur de fruits qui tient ses trois pastèques en équilibre sur la tête pour attirer la clientèle de Ramallah, ou cette affiche annonçant un championnat de culturisme, tandis que furtivement passe une femme voilée. Pareille stupéfaction souriante devant cette famille traversant une rivière grâce à un système de cordes et poulies, à Rawalpindi, au Pakistan, comme suspendue dans le temps, entre deux mondes. Idem regard heureux devant le reflet du miroir d’un barbier de rue et son client, à Gujranwala, près de Lahore. Plus loin, dans la périphérie d’Islamabad, des enfants se rassemblent devant un vendeur de poissons tropicaux, ou jouent une partie de cricket à la tombée du jour. On en rigole encore, à l’arrière d’un camion de fruits et légumes.

Muheisen donne l’impression de croquer une réalité à côté d’une autre, de déplacer son objectif, de changer d’angle, ajoutant ainsi « des histoires inattendues à l’histoire prévisible », dans un cadre où tout se tient et se contient. Né dans une région traversée de conflits, le photographe confie qu’on « apprend alors à faire la différence entre le noir et le blanc, à affronter les drames, à toujours aller de l’avant et à penser que derrière la mort se cache la vie, derrière les pleurs un sourire. Mais on apprend avant tout à survivre ». Comme ces enfants qui s’amusent sur un trampoline, près du camp où ils ont trouvé refuge, à la suite d’une inondation, dans un village du Pakistan. Ou ces autres, arc-boutés sur un baby-foot, joliment fabriqué de bric et de broc par eux-mêmes, dans une ruelle de Sanaa, au Yémen. Des images qui font récit, portent en elles une histoire. Où la vie continue.

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