Information bien ordonnée

La sauvagerie islamophobe ne suscite guère d’émotion chez les forgerons de l’opinion.

Sébastien Fontenelle  • 24 octobre 2013 abonné·es

C’est toutes les semaines ou presque, désormais, que des lieux de culte musulmans sont vandalisés par de courageux profanateurs – sortis probablement de la même répugnante éprouvette dans laquelle cuisent aussi les guerriers du Net (planqués derrière des pseudos pris généralement dans la mythomanie hitlérienne) qui, depuis les caves fétides où ils se racontent qu’ils sont des surhommes, lancent sur la Toile des grognements lestés de plusieurs siècles d’excellence occidentale, du type : « La Fransse au franssée, atension à toi lé arrabe et lé Muslummants. »

Cette sauvagerie – notons-le sans nous laisser trop enquiquiner par les ombrageux gardiens de la pensée dominante [^2] qui voudraient si fort interdire, en fustigeant obsessivement ce qu’ils présentent comme d’inconvenants « amalgames », qu’on cherche (et trouve) dans le passé de l’humanité la généalogie de ces vilenies – ne s’était plus guère vue depuis les années 1930 : elle s’exerçait alors contre les synagogues. Mais sa résurgence, proprement terrifiante, ne suscite aucune émotion particulière chez les forgerons de presse (et de médias) de l’opinion, dont l’indifférence contribue évidemment à la normaliser – dans une routine qui ne vaut manifestement pas qu’ils lui consacrent les gros titres qu’ils réservent pour d’autres actualités. Ce week-end, par exemple, un joueur de l’équipe de France de football a tenu à la télévision des propos – semble-t-il – peu amènes à l’endroit de certains journalistes « sportifs [^3] ». Dans le même temps, des ordures ont – nuitamment, comme de juste, car ces dégénérés craignent la lumière du jour – tracé des croix gammées et des slogans nazis sur les murs de la mosquée de Carpentras.

Et, ce lundi matin, les sites des grands médias «  mainstream [^4] » consacrent à la première de ces deux informations des torrents de commentaires, tous plus pointus les uns que les autres, d’où ressort globalement que Patrice Evra – c’est le nom du footballeur – n’est pas urbain du tout. Mais quant à la seconde : elle est reléguée dans les profondeurs où les journalistes dominants remisent quotidiennement les faits qui selon eux ne méritent pas vraiment d’être portés à la connaissance de leurs clientèles – non loin, par exemple, du compte rendu que des attentats ont encore fait dans le cours des dernières 48 heures plusieurs dizaines de victimes en Irak. Les mêmes, bien sûr, protesteront, le cas échéant, du profond dégoût que leur inspire la xénophobie – nous ne mangeons pas de ce pain-là. Mais, par les silences complices où ils ensevelissent l’épouvantable multiplication des profanations antimusulmanes, jugée par eux moins importante que les proférations d’un millionnaire du ballon rond, ils contribuent assurément à la banalisation du mal islamophobe.

[^2]: De chez l’hebdomadaire Marianne , par exemple, où l’on se spécialise dans ces intimidations.

[^3]: C’est comme ça, me dit-on, qu’il convient de les appeler.

[^4]: Comme on dit joliment.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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