Souplesse oblige

Christophe Barbier s’abstient de s’offusquer de la prodigalité de l’État lorsque l’Express encaisse des subventions.

Sébastien Fontenelle  • 31 octobre 2013 abonné·es

« Nos » [^2] éditocrates excellent, on le sait, dans l’art (de vrai, point très compliqué) de psalmodier qu’il serait maintenant plus que temps que l’État réduise la dépense publique, et vite, hein ? Parce que là, vraiment, c’est plus tenable. Un personnage, en particulier, s’illustre, depuis tant d’années qu’on s’épuiserait à les compter, par la ténacité qu’il met (ou qu’il fait mettre par ses collaborateurs) dans la fustigation du creusement du déficit public : c’est Christophe Barbier, le bien connu directeur de l’hebdomadaire l’Express. Et certes : cet acharnement peut des fois donner l’impression qu’il tourne à l’obsession. Mais précisément : ce n’est qu’une impression, à laquelle il convient, par équité, de ne pas se laisser prendre.

Car en effet : Christophe Barbier, loin d’être l’idéologue figé sous une épaisse gangue ultralibérale que disent ses (irrévérencieux) détracteurs, fait (au contraire) montre, dans l’application du dogme réductionneur dont il est donc l’un des plus fervents propagandistes, d’une souplesse qui doit évidemment être portée à son crédit – car elle témoigne qu’il sait du moins, et quant à lui, se défaire des fois de ses œillères. Prenant sur lui (devine-t-on), il s’abstient, par exemple, de trop s’offusquer de la prodigalité de l’État quand il encaisse les subventions qui ont, d’après la Cour des comptes, permis à l’Express de se gaver à nos frais de plus de 18,5 millions d’euros entre 2009 et 2011 – au titre des « aides publiques à la presse ». (Sans que nous soyons véritablement informé(e)s de l’usage qui est ainsi fait de nos fonds communs – mais là encore : Christophe Barbier, qui peut a volte se montrer assez revendicatif dans l’expression de son exigence de plus de transparence, a su dominer son élan récriminatoire.)

Puis, d’autre part, quand il se diversifie : notre ami s’astreint, de même, à brider son envie d’économie. Tout récemment : il a fait l’acteur dans un film, réalisé par sa compagne, qui sortira sous peu, et dans lequel il incarne, si j’ai bien compris, un sondeur [^3]. Et si j’en crois les données publiées sur le site du Centre national du cinéma (CNC) : cette œuvre a bénéficié d’une « avance sur recettes ». (Dont le montant n’est pas donné, mais je suis bien certain qu’une prochaine investigation de l’Express nous le révélera : je fais confiance au journalisme de mon pays.) Et de nouveau : Christophe Barbier a réussi à ne pas s’offusquer d’une libéralité budgétivore qui aurait facilement pu l’irriter. Aussi voudrais-je, si tu permets, rendre ici hommage à sa pondération [^4].

[^2]: Façon de parler – d’où les guillemets.

[^3]: Non, je n’irai pas le voir : j’aurais adoré, mais, justement, ce jour-là, j’ai Denzel Washington.

[^4]: Et sinon, je profite de l’occasion pour te signaler – très sérieusement, pour le coup – que tu devrais sans tarder aller visiter à la Cinémathèque l’éblouissante exposition Pasolini Roma dont M. Kantcheff t’a déjà entretenu(e) la semaine dernière dans ces pages.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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