Tragédie de papier

Camille Trouvé revisite le destin de Camille Claudel. Une fable douce-amère sur la manipulation.

Anaïs Heluin  • 31 octobre 2013 abonné·es

Dans la foule bigarrée des pantins à gaine, des marionnettes hyperréalistes, des androïdes et autres figurines présentes lors du Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, il y avait une poupée à l’air de rien du tout. Petite bouille de tissu blanc et tignasse de crépon noir sur un corps de papier en accordéon, elle incarnait à merveille la précarité de la marionnette, son statut de funambule suspendu au bon vouloir d’un manipulateur. De la marionnettiste Camille Trouvé, fondatrice de la compagnie Les Anges au plafond, en l’occurrence, mais aussi de l’illustre Rodin. Elle était – et continue d’être, en tournée – une Camille Claudel qui tire toute sa force de sa dégaine artisanale.

Dans chaque plissure de son corps en origami approximatif, il y a une question. Une béance que tout, dans les Mains de Camille ou l’oubli, creuse et déploie en un faisceau de minuscules tranches de vie équivoques, sur le fil de la folie. Circulaire comme un esprit monomaniaque ou carrément détraqué, la scénographie de Brice Berthoud et Jaime Olivares accueille la tragédie de la sculpteuse-marionnette à la manière d’un nid installé en pleine chaussée. Derrière les gradins, des écrans de papier aussi froissé que la robe de Camille. De temps à autre, ils laissent apparaître des ombres mi-naïves mi-menaçantes, métaphores du jugement moral porté sur une artiste rebelle à tous les rôles sociaux qu’on a voulu lui faire endosser.

Selon leur importance et leur fonction dans la vie de Camille Claudel, les personnages secondaires ont chacun leur présence marionnettique. Comme sa sœur, Paul Claudel enfant est poupée de chiffon et de papier, tandis que l’adulte est un solide pantin costumé. Rodin, lui, n’est qu’une ombre géante, sorte de dieu impossible à représenter. Joliment articulées, les différentes techniques utilisées par Camille Trouvé se fondent en un portrait psychologique complexe, structuré autour d’une faille. Fragmentée, la narration tourne autour d’un mystère jamais élucidé : celui du basculement de Camille dans la folie, ou dans ce que ses proches ont qualifié ainsi. La présence de deux musiciennes, Martina Rodriguez et Awena Burgess, qui prêtent aussi leurs voix aux marionnettes, donne une chair très féminine aux êtres de papier. Au point, souvent, de brouiller les frontières entre manipulateur et manipulé.

Théâtre
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