Bonnets rouges : Une mobilisation ambiguë

Le mouvement des bonnets rouges a allumé un feu que ses initiateurs ne savent comment éteindre. Le succès de la mobilisation de Quimper paraît sans lendemain, du moins pour les salariés.

Michel Soudais  • 14 novembre 2013 abonné·es

Jacquerie inquiétante ou révolte populaire ? Depuis le succès de la manifestation de Quimper, le mouvement des bonnets rouges fait débat à gauche. Ce rassemblement hétéroclite de patrons, d’ouvriers, de pêcheurs et de paysans y est diversement apprécié. Si Ségolène Royal a paru la plus enthousiaste en assimilant « la levée des Bretons » à une « révolte citoyenne » plutôt « réconfortante », la tonalité est généralement plus réservée. La présidente de la région Poitou-Charentes a d’ailleurs fait marche arrière le lendemain en indiquant qu’elle avait tenu ces propos dans une émission enregistrée « avant les actions d’escalade » du samedi 9 novembre.

Ce matin-là, environ 250 personnes, dont certaines coiffées de bonnets rouges, se sont retrouvées pour une manifestation « symbolique » au pied d’un portique écotaxe à Montauban-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). Mais, dans l’après-midi, un autre rassemblement de quelque 700 personnes près du portique de Jugon-les-Lacs (Côtes-d’Armor) a dégénéré avec des affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. Ces derniers, ne pouvant accéder au portique, s’en sont pris à un radar à proximité et l’ont incendié, arrachant ensuite des glissières de sécurité. Un débordement devenu banal. Lundi, outre les cinq portiques écotaxe détruits ou démontés depuis début novembre, la préfecture de région comptabilisait pas moins de 46 radars vandalisés sur les 109 que compte la région. Ces dégradations, opérées surtout clandestinement, ont un impact négatif sur l’image d’une « fronde bretonne » qui a pour origine une vague sans précédent de licenciements et de plans sociaux : 971 suppressions d’emplois chez Doux fin 2012, 889 emplois supprimés chez Gad SAS, une société d’abattage et de transformation du porc, 300 suppressions annoncées dans une usine de production de saumon fumé du groupe Marine Harvest, 1 000 emplois menacés en janvier 2014 chez le volailler Tilly-Sabco, ce qui par ricochet en menace 60 autres dans le groupe Nutrea, spécialiste de l’alimentation animale et principal fournisseur du volailler, etc.

Face à cette situation jugée « catastrophique » par bien des syndicalistes, l’absence de coordination et de proposition de mobilisation du mouvement syndical a laissé un boulevard au « collectif des bonnets rouges ». Ce groupe, à la composition mal définie – outre un syndicat de salariés FO et la FDSE, le Medef en ferait partie, et certains y décèlent l’Institut de Locarn, un club de patrons bretons très libéraux qui veulent inscrire la Bretagne dans une Europe des régions – mais fermée, s’est donné pour porte-parole Christian Troadec, le turbulent maire de Carhaix qui avait pris la tête d’une liste régionaliste aux dernières élections régionales (3,51 %), et Thierry Merret, patron de la FDSEA du Finistère. Véritable « faux nez du patronat breton », comme le qualifient trois syndicalistes de Solidaires dans une note interne, ce collectif est néanmoins parvenu, avec des appuis médiatiques et logistiques (mise à disposition de bus, de bonnets rouges, de drapeaux…), à organiser à Quimper une des plus grosses manifestations de ces dernières années dans la région. Mobilisant des gens qui, selon de nombreux témoignages, faisaient là leur première manif et exprimaient une colère légitime autour de « la défense de l’emploi. » Ce mot d’ordre peut-il fédérer longtemps les bonnets rouges ? Le glissement des revendications trahit une instrumentalisation de la colère des salariés par un patronat avide de déréglementation. « De la lutte contre les licenciements, lit-on dans la note d’information interne de Solidaires, on est passé au combat contre l’écotaxe, puis contre tous les impôts et les charges, y compris sociales, le rôle de l’État, les contraintes réglementaires et surtout environnementales. » Interrogé par France 3 Bretagne sur les suites à donner à la manifestation de Quimper, Thierry Merret répondait le 3 novembre : « Pour libérer les énergies, il faut moins de contraintes environnementales, moins de contraintes sociales et moins de contraintes fiscales. » Des revendications développées lors d’une conférence de presse, le 8 novembre, que le gouvernement semble prêt à entendre.

Le 6 novembre, lors de la grande réunion pour l’avenir de la Bretagne, autour du préfet de région, les syndicats de salariés étaient relégués en fond de salle, derrière les élus, installés aux premiers rangs, et les représentants des organismes patronaux et agricoles, aux rangs suivants. Deux jours plus tard, à Rennes, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, a évoqué une évolution de la réglementation pour permettre l’agrandissement des élevages afin de faire face à la concurrence européenne. Si le refus du gouvernement d’aller au-delà d’une suspension de l’écotaxe nourrit encore la contestation, le collectif des bonnets rouges semble bien en peine d’éteindre le feu qu’il a allumé. « Il n’y a pas de marque déposée “bonnet rouge”, affirmait un des manifestants de Jugon-les-Lacs. N’importe qui peut prendre le drapeau breton ou le bonnet rouge et aller manifester. On remettra cela. » Sans attendre la grande manifestation « officielle » annoncée par Christian Troadec et Thierry Merret « le 30 novembre dans une grande ville de Bretagne », un autre collectif clairement autonomiste, « Révolte bretonne », appelle à manifester samedi à Saint-Brieuc. De leur côté, les syndicats tentent d’aplanir leurs divisions et de mettre sur pied une mobilisation intersyndicale d’ampleur. Une sorte de réplique à Quimper, où personne ne viendrait parler en lieu et place des salariés.

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