Causette en grève

La rédaction du magazine féminin s’est mise en grève. Un désaccord à propos d’un sujet sur la prostitution est venu se greffer sur des conditions de travail contestées.

Ingrid Merckx  • 9 novembre 2013
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Causette en grève

Ca chauffe chez Causette. Lundi 4 novembre, le portail du magazine était recouvert de tracts incendiaires. Vendredi 8 novembre, les salariés ont annoncé à 14h30 qu’ils se mettaient en grève.

«La configuration actuelle de l’équipe (affectée par plusieurs arrêts maladie), les conditions de travail délétères autant que la faiblesse des propositions d’organisation, ne permettent pas de réaliser le prochain numéro du magazine (…) L’équipe de Causette estime avoir atteint un point de non-retour. Le dialogue social, malgré tous les efforts entrepris, est à ce jour totalement rompu (…) L’équipe de Causette se déclare donc en grève et continue de réclamer les conditions de personnel et d’organisation qui lui permettrait de boucler ce numéro.»

Un sujet sur la prostitution aurait déclenché la colère de la rédaction. Non pas le sujet lui-même mais l’angle choisi : « 55 raisons de résister à la tentation (pour vous, Messieurs) » . Suivaient des brèves faussement drôles et souvent scabreuses, sur le mode : « Parce qu’il y a toujours moyen de se bricoler une pute acceptable avec une pastèque trouée » ou encore : « Si la prostitution est un boulot comme un autre, vous devriez le conseiller à votre fille, il y a des opportunités à l’international » .

Preuve qu’on ne peut pas rire de tout n’importe comment et avec tout le monde. Preuve aussi que la prostitution est un sujet qui fâche, surtout chez les féministes. Mais ce qui frappe, c’est la division entre la direction et les salariés.

Position de la direction :

«« Putophobes », « transphobes », « racistes », « incitation au viol » … N’en jetez plus ! Depuis une semaine, nos boîtes mails ont gonflé et la twittosphère s’est enflammée. La majorité de ces doux messages est le fait d’une organisation qui s’appelle le Strass et regroupe des «travailleurs du sexe» et revendiquent haut et fort, leur droit d’exercer ce métier « pas comme les autres », pour reprendre leurs mots. Nous sommes POUR ce droit, qu’on se le dise.»

Liliane Roudière (rédactrice en chef) et Grégory Lassus-Debat (directeur de la publication), admettent avoir opté pour une méthode «peu délicate» mais revendiquent une approche «radicale» , «violente» , maniant «l’ironie par antiphrase» :

«Au fond, dites-nous quelle différence il y a entre écrire, comme nous l’avons fait, « Parce que, quitte à se taper une fille qui n’en a pas envie, autant la violer, c’est moins cher » et écrire, ce qui est plus politiquement correct, « La prostitution forcée est une forme de viol qui ne s’en distingue que par une rémunération » ?»

En gros, ils auraient écrit le contraire de ce qu’ils pensent. Les lectrices «ayant une connaissance minimale de Causette» étaient censées s’y retrouver. Mais même les salariés de ce magazine «plus féminin du ciboulot que du capiton» , ont eu du mal à s’y reconnaître :

«La majorité de la rédaction de Causette tient à exprimer publiquement son désaccord avec cet article. Sa forme plus que maladroite contrevient à l’éthique et aux valeurs de Causette en stigmatisant les prostitué(e)s plus qu’en les défendant. Une partie de la rédaction l’avait fortement signifié dès l’élaboration de ce papier mais n’a pas été entendue. Si la question de la prostitution est loin de mettre tout le monde d’accord au sein du magazine, nous avons toujours considéré qu’il était possible de la traiter en dépit de nos divergences. Nous considérons en outre que l’article « 55 raisons de résister à la tentation (pour vous, messieurs) » est en complète rupture avec la ligne éditoriale du magazine.»

Ce sujet sur la prostitution n’est pas seul en cause. Ce sont surtout les conditions de travail qui semblent entraver la parution du prochain numéro. A suivre.

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