De l’influence du hashtag

Les réseaux sociaux se sont emparés du petit écran, et inversement. Pour le meilleur parfois, pour le pire souvent. Jusqu’à faire et défaire les programmes ?

Jean-Claude Renard  • 14 novembre 2013 abonné·es

C’est une curiosité : on pensait que les ordinateurs, les tablettes et autres smartphones concurrenceraient la télévision. Or, la petite lucarne s’accommode très bien des nouvelles technologies, avec nombre de téléspectateurs donnant leur avis sur les programmes. Un avis donné sur Facebook et principalement sur Twitter. Près d’1,7 million de tweets liées aux émissions de télé dans la semaine du 28 octobre au 3 novembre ! On n’est plus là autour de la machine à café du bureau ou dans un sondage de satisfaction que mènerait Médiamétrie, le matin, sur les programmes de la veille, mais dans l’instantanéité. Selon les sociétés d’études spécialisées dans les usages des nouvelles technologies (telle Mesagraph, qui chaque jour évalue le nombre de tweets, dresse ses classements), la première partie de soirée représenterait près de la moitié des sujets de « conversation » pour un large public prompt à réagir. À vrai dire, ces nouvelles technologies s’y prêtent.

En premier lieu, ce sont les émissions de télé-crochet, la télé-réalité et le sport qui agitent les usagers. Au printemps, le programme musical « The Voice » (TF1) comptabilisait à chacune de ses diffusions près de 450 000 tweets. Pour « Star Academy » (TF1) ou « Nouvelle Star » (D8), les chiffres oscillent entre 75 000 et 105 000 gazouillis. L’élection de Miss France (TF1), c’est aussi plus de 400 000 tweets. Idem pour le classico footballistique PSG/OM (Canal +). « La France a un incroyable talent » (M6) grimpe à 130 000. Mêmes les crétineries comme « les Anges de la télé-réalité » (NRJ12) ou « les Ch’tis » (W9) ont leurs fans sur les réseaux sociaux.

En 140 signes maximum, c’est là du commentaire à vif, tranché et tranchant. Pour le meilleur et pour le pire. Le plus souvent, le ton est à la moquerie, à la blague salace. Au premier degré. Sans recul, ni distance. On dénigre plus qu’on y élabore une pensée. Non sans populisme, sexisme ou racisme parfois, mais à la marge, où pour le coup le gazouillis vire à l’euphémisme. Dans cette « social TV », en temps réel, le tweet se fait nettement plus intéressant et pertinent quand il s’agit d’une émission politique, permettant ainsi de vérifier, contredire ou démentir un discours (le 10 octobre, le numéro de « Des paroles et des actes » avec Jean-François Copé a compté plus de 62 000 tweets en direct). Si tweeter permet ainsi à tout le monde de s’exprimer spontanément, les chaînes traditionnelles et celles de la TNT y sont très sensibles. À plus d’un titre. Parce qu’elles sont en contact direct avec le téléspectateur, et parce que tant qu’il tweete, celui-ci ne zappe pas. C’est capital. De fait, l’audience des tweets pourrait se révéler un important ajusteur des recettes publicitaires dans les programmes, comme sur les seconds écrans, pour des annonceurs toujours aux aguets des opportunités. Pas de hasard si aujourd’hui les chaînes incitent le téléspectateur à réagir, chaque émission possédant sa page Facebook ou son hashtag, comme « On n’est pas couché », de Laurent Ruquier, jusqu’à « Des paroles et des actes » et « Mots croisés » (« Partagez vos réactions sur Twitter »  ; « Venez commenter l’émission sur les réseaux sociaux »  ; ou encore « Posez vos questions sur le hashtag de l’émission ». Par exemple, « Salut les terriens », de Thierry Ardisson, relance systématiquement les téléspectateurs sur sa page Facebook, avant, pendant et après l’émission.

La course à l’audience s’accompagne désormais de la course aux tweets. Après le poids de la pub et la pression des audiences, de quoi se demander si un programme sera fait ou défait selon les réactions générées. Dans cet esprit, après le magazine « Vous trouvez ça normal ?! » présenté par Bruce Toussaint, violemment attaqué sur Tweeter, et supprimé après trois mois de diffusion, on peut dire que l’émission de Sophia Aram, « Jusqu’ici tout va bien », a été condamnée dès son premier soir, le 16 septembre, sur laquelle se sont acharnés les tweetos. À qui le tour ?

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