Le Soudan, nouvel enjeu énergétique et stratégique

Selon Abdessalam Kleiche, malgré la répression et les atteintes aux droits de l’homme, le pays est un objet de convoitise de grandes puissances peu regardantes.

Abdessalam Kleiche  • 7 novembre 2013 abonné·es

Fin septembre, un mouvement de contestation a secoué le Soudan. Dès le début, les manifestants ont scandé des slogans entendus dans beaucoup de pays arabes : « Nous voulons la chute du régime. » Ces manifestations, sans précédent depuis l’arrivée au pouvoir d’Omar el-Béchir par un coup d’État militaire en 1989, ont fait suite à l’annonce, le 22 septembre, de mesures d’austérité : coupes dans les subventions, hausse des prix du carburant (+ 60 %) et des denrées alimentaires. Ce plan d’ajustement structurel classique a été imposé par le Fonds monétaire international (FMI) alors que l’économie stagne depuis la sécession du Sud Soudan en juillet 2011. Cette fracture avait déjà privé le Soudan (Khartoum) de plus des trois quarts des ressources pétrolières. Ce qui a aggravé les difficultés du pays, déjà considéré par le Pnud comme le 171e pays sur 186 en termes de développement humain. Cette situation alourdit davantage le fardeau de l’un des États les plus endettés d’Afrique (36 milliards de dollars). Craignant la contagion du mouvement à l’ensemble du pays, et instruit par le rôle des réseaux sociaux dans les soulèvements dans le monde arabe, le gouvernement a réprimé dans le sang ces manifestations, faisant deux cents morts selon les ONG présentes sur place et la Fédération internationale des droits de l’homme. Huit cents activistes, étudiants, opposants ou journalistes, ainsi que des leaders de partis d’opposition (Parti baas, Parti communiste, Parti Oumma), ont été arrêtés. Ces manifestations se sont déroulées dans un contexte politique régional et international très tendu. En effet, le Soudan connaît des rébellions qui ont éclaté dans les régions frontalières, et les violences se multiplient au Darfour, dans l’ouest du pays. Ainsi, il y a deux ans, les quatre principaux mouvements armés de l’ouest et du sud du pays se sont réunis en un Front révolutionnaire du Soudan (FRS) « pour renverser le régime d’El-Béchir » .

Le président soudanais est par ailleurs fragilisé par les poursuites de la Cour pénale internationale pour génocide et crimes de guerre commis au Darfour, où 200 000 personnes ont péri depuis 2003. Mais le Soudan est aussi devenu un théâtre d’affrontements entre puissances occidentales et pays émergents pour le contrôle et l’exploitation des matières premières. La Chine occupe une position de force. Dans le consortium soudanais Greater Nile Petroleum Operating Compagny (GNPOC), les Chinois détiennent 40 % à travers la China National Petroleum Corporation(CNPC). Mais il n’y a pas que la Chine. Le Soudan figure au quatrième rang comme terre d’accueil des investissements étrangers en Afrique subsaharienne, après l’Afrique du Sud (130 milliards de dollars), le Nigéria (70 milliards) et l’Angola (25 milliards). Le Soudan ayant une longue façade maritime sur la mer Rouge, cette présence stratégique de la Chine est mal vécue par les États-Unis. Raison pour laquelle Washington a encouragé la sécession du Sud Soudan. La France n’est pas absente de la compétition. Total dispose d’un permis d’exploitation de la plus vaste concession pétrolière du pays, le « bloc B », qui s’étend sur 118 000 km² entièrement situés au Sud Soudan. De même, Areva a obtenu du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) la concession d’une mine d’or dont l’entreprise détient 40 % des parts, et Lafarge possède à Port-Soudan deux terminaux de réception du ciment en provenance de ses usines d’Égypte. Le Soudan était le deuxième pays de la zone à accueillir des investissements directs français jusqu’en 2012.

Mais c’est surtout en termes de sécurité que la France s’intéresse au Soudan. Certes, le territoire, dirigé par un islamiste, n’est pas sous la menace directe du mouvement d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), principale incarnation du terrorisme au Mali, au Niger et en Mauritanie. Cependant, avec la République centrafricaine (RCA) et le Tchad, le Soudan forme un triangle d’instabilité qui se caractérise par des conflits armés et des niveaux élevés d’insécurité. Les trois pays ont été inclus sur la liste 2010 des dix premiers États défaillants dans le monde. Le secrétaire général des Nations unies a exprimé sa crainte que le triangle soit devenu un sanctuaire pour les groupes armés. La crise malienne l’a montré : la réduction des facteurs d’instabilité en Afrique passe plus que jamais par une véritable politique de codéveloppement régionale inclusive.

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