Le volet social, proposition malhonnête ?

Le dispositif de sortie de la prostitution serait réjouissant s’il était précis, concerté et surtout financé. Sinon, il n’est qu’un alibi.

Ingrid Merckx  et  Lena Bjurström  • 14 novembre 2013 abonné·es

Sur le papier, tout va bien. Dans un avis rendu public le 5 novembre, le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes (HCEFH) estime que la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel conduirait à deux innovations majeures : l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel et le fait de « proposer pour la première fois un véritable accompagnement social aux personnes prostituées autour de parcours de sortie de la prostitution ». Cet accompagnement donnerait notamment droit à un système de protection et d’assistance, à une possibilité d’hébergement d’urgence, à la réparation des dommages subis pour les victimes de proxénétisme, à se faire domicilier et représenter par des associations, et à une remise totale ou partielle d’impôts directs.

Des comités départementaux ad hoc devraient être créés et des associations pourraient obtenir une convention avec l’État pour loger des personnes prostituées. En outre, le droit à l’accompagnement ne serait plus conditionné à une dénonciation d’un réseau de proxénétisme ou de traite. Le « parcours de sortie de la prostitution » serait proposé aux personnes « qui en font la demande ». Mais, dans ce même avis, le HCEFH écrit aussi qu’il voudrait voir « préciser les modalités [de financement et de mise en œuvre] de la loi   ». En effet, celle-ci prévoit un « fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées », qui serait abondé par des crédits de l’État, des recettes provenant de la confiscation des biens et produits issus du proxénétisme et d’un prélèvement sur le produit des amendes payées par les clients. Or, aucun chiffre n’est avancé dans le texte : ni crédits de l’État ni budget prévisionnel. Une innovation sous-dotée est-elle crédible ? « Assez de mots, il faut des moyens ! », s’énerve Esther Benbassa, sénatrice EELV qui avait déposé une proposition de loi pour abolir le délit de racolage passif. Sans moyens, tout le volet social risque de passer pour de la cosmétique ou, pire, de servir d’alibi à la pénalisation. En outre, la loi de sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy comportait déjà un volet social. « Mais les politiques d’accompagnement prévues dans la loi de 2003, on ne les a jamais vues ! », affirme Sophie Combes, du Syndicat de la magistrature (SM). Autre demande du HCEFH : « Clarifier les dispositions relatives à l’accès à un titre de séjour pour les personnes étrangères victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme. » Là aussi, les doutes planent, en particulier sur la durée du titre de séjour, qui devrait donner droit à une autorisation de travailler.

Par ailleurs, la proposition de loi envisage d’ouvrir le droit à l’allocation temporaire d’attente (ATA) – dont bénéficient les demandeurs d’asile – à toute personne, y compris sans titre de séjour, prise en charge par les associations et en sortie de prostitution. Et ce, indépendamment d’une plainte et de la dénonciation d’un éventuel proxénète, qui étaient jusqu’à présent les conditions sine qua non. « Excellente initiative, commente Patrick Hauvuy, directeur de l’association ALC (Accompagnement, Lieux d’accueil, Carrefour éducatif et social). Mais qui va déterminer l’attribution de l’allocation, du titre de séjour et de son renouvellement ? Sur quels critères ? La demande de sortie de la prostitution ? Mais qui s’en portera garant ? Les associations ? C’est une grosse responsabilité. » « Cela imposerait un rapport de contrôle entre les associations et les personnes prostituées. C’est malsain, souligne Carine Favier, coprésidente du Planning familial. Il ne doit pas y avoir de droits de seconde zone soumis à une convention. » Enfin, ces mesures resteraient soumises à l’arbitraire des préfectures. « Elles seront donc exécutées de façon très variable sur le territoire, reprend Patrick Hauvuy. À Nice, certains préfets ont collaboré avec nous et d’autres ont refusé toute régularisation. » Quant aux personnes étrangères victimes de traite, elles nécessitent une protection et un soutien que l’administration française peine à leur donner. L’association ALC coordonne sur l’ensemble du territoire le dispositif AcSé (pour « accueil sécurisant »), offrant un hébergement sécurisé et mettant les victimes hors de portée des réseaux criminels. Lancé en 2001, il repose sur un large panel d’associations et des financements publics. Face à la demande, les crédits sont restés stables sur l’ensemble du dispositif, mais les places viennent à manquer. La proposition de loi, si elle est votée, sera-t-elle accompagnée d’un effort budgétaire ? Patrick Hauvuy se montre pessimiste : « Je ne me fais pas d’illusions. » De fait, les subventions accordées aux associations sont en chute libre, alors que les enquêtes police-justice réclament du temps pour l’instruction et des effectifs mobilisables pour mettre en place des systèmes de surveillance, d’écoutes, de filatures, etc.

Temps de lecture : 4 minutes