Ouvriers à l’abattoir (À flux détendu)

Il faut voir le documentaire de Manuela Frésil, Entrée du personnel , désormais disponible en DVD, pour ressentir à quel point cet univers est terrifiant.

Christophe Kantcheff  • 28 novembre 2013 abonné·es

Chacun a vu les images de salariés des abattoirs Gad repousser manu militari leurs anciens collègues, désormais sans emploi, venus demander des comptes à leurs ex-dirigeants. Images heurtantes d’ouvriers montés les uns contre les autres, les premiers transformés en briseurs de manifestation veillant au respect des intérêts de leurs employeurs, se souciant comme d’une guigne du sort des seconds. Cette violente fronde antisociale des salariés, à l’origine de laquelle les dirigeants de Gad n’étaient sans doute pas étrangers, est bien sûr emblématique d’une classe ouvrière diluée dans un individualisme de survie. Mais ce n’est peut-être pas un hasard si elle s’est produite précisément dans ce milieu professionnel, celui des abattoirs. Il faut voir le documentaire de Manuela Frésil, Entrée du personnel, désormais disponible en DVD (Shellac), pour ressentir à quel point cet univers est terrifiant. La réalisatrice a pris des images, assez rares, de l’intérieur et recueilli de nombreux témoignages de travailleurs, qu’elle ne montre pas à l’écran car ceux-ci ont tous réclamé l’anonymat de peur des représailles, mais qu’elle fait dire par des comédiens. Un abattoir, c’est une entreprise de destruction. Celle des animaux bien sûr, mais au-delà : la destruction (nécessaire) du lien éthique que l’homme peut entretenir avec l’animal ; celle de l’« innocence » de l’homme qui n’a jamais donné la mort en série – nombre d’ouvriers parlant des cauchemars qui les tenaillent la nuit – ; la destruction des corps aussi, soumis aux cadences du travail à la chaîne, la plupart ne pouvant aller jusqu’à l’âge de la retraite… Il est bien sûr légitime que les salariés des abattoirs défendent leurs emplois quand ceux-ci sont menacés. Mais Entrée du personnel montre comment, dans ces lieux-là, la classe ouvrière s’anéantit.

Culture
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