Racisme : que dit la loi ?

La justice punit les injures raciales, mais les plaintes sont rares et certains politiques contribuent à libérer la parole raciste.

Ingrid Merckx  • 21 novembre 2013 abonné·es

La France protège la liberté d’expression. « C’est l’une des pierres angulaires de la Déclaration des droits de l’homme, mais aussi de la Convention européenne des droits de l’homme, dont la France est signataire », rappelle Jacques Montacié, secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Ceux qui hurlent à la censure en seront pour leurs frais. « La liberté d’expression est l’une des bases de notre démocratie : des propos peuvent être choquants et tolérés », reprend-il, mais jusqu’à un certain point. Toute la difficulté, pour le droit, consistant à établir si la limite a été franchie.

La loi de 1881, complétée par celle de juillet 1972, punit les injures et les diffamations portant sur la race, l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle ou le handicap. De surcroît lorsque celles-ci « incitent » à la haine, à la violence ou à la discrimination. « Il faut distinguer les délits qui frappent les personnes – vous, moi, Christiane Taubira, et ceux qui frappent les groupes ou les communautés – les Noirs, les juifs, les Roms… » Dans l’affaire qui l’oppose à Minute –  en une de son numéro du 13 novembre avec ce titre « Maligne comme un singe, Christiane Taubira retrouve la banane » –, la garde des Sceaux est considérée comme n’importe quel justiciable. Sa fonction ne la protège pas plus qu’un citoyen lambda. De même, il n’y a pas d’atteinte à la fonction qui tienne en dehors de celle du chef de l’État. Et le champ de la liberté de la presse se confond avec celui de la liberté d’expression.

Christiane Taubira n’a pas porté plainte. C’est le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui a dénoncé l’injure au nom de l’article 40 du code de procédure pénale, entraînant une saisine du parquet. Lequel a lancé une enquête. «   Dans cette affaire, il y a peu de doute sur le caractère raciste de la comparaison opérée entre la ministre et un singe. Le délit semble constitué, le parquet est saisi, il y aura probablement des poursuites », estime Jacques Montacié. Minute encourt jusqu’à six mois de prison et 22 500 euros d’amende. Pour des injures racistes, c’est la peine maximale. Mais rares sont les jugements qui débouchent sur une telle condamnation. « Les plus lourdement condamnés doivent être Dieudonné et Jean-Marie Le Pen, des multirécidivistes. Mais les peines sont moins lourdes que pour un vol de portable. Le jugement est surtout pédagogique : il rappelle qu’on ne peut pas tout dire, notamment en public. » En effet, la loi distingue les sphères publique et privée, considérant que des injures racistes tenues dans la première incitent les témoins à la haine ou à la violence, ce qui n’est pas le cas –  ou moins  lors d’un tête-à-tête ou d’une réunion interne. « Brice Hortefeux avait d’ailleurs plaidé en ce sens lorsqu’il a été accusé d’avoir tenu des propos racistes lors d’une université d’été de son parti en 2009. Sauf qu’il y avait des journalistes… » D’après le secrétaire général de la LDH, la loi est « bien faite » quand elle est appliquée, mais les plaintes pour injures raciales sont rares. Pourtant, la libération de la parole raciste, nourrie par une partie du personnel politique, pourrait induire des recours à la justice plus nombreux. Mais pour quelle efficacité ?

Publié dans le dossier
Les causes profondes du racisme
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