La crise n’est pas finie

Le seul moyen de sauver l’euro serait l’« inflation interne ».

Christophe Ramaux  • 19 décembre 2013 abonné·es

La crise en Europe n’est pas terminée et va connaître un nouveau rebondissement. Les pays du Sud, Grèce et Portugal en tête, sont dans une impasse. Ils ont des gains de productivité plus faibles pour des raisons structurelles (les entreprises y sont plus souvent des PME, par exemple). Avant l’euro, les différences étaient gérées par le réajustement des taux de change : leur monnaie se dévaluait, ce qui leur permettait de regagner en compétitivité. Avec une monnaie unique, cela n’est évidemment plus possible. Résultat : l’euro est surévalué pour le Sud et sous-évalué pour le Nord (Allemagne, Pays-Bas, etc.). Ces derniers engrangent des excédents commerciaux records, et cela d’autant plus qu’ils ont opté pour l’austérité au début des années 2000. Compétitivité, prix en hausse, donc, mais aussi et surtout consommation interne en berne, leur modèle consistant à prendre des marchés et des emplois aux autres [^2]. Les pays du Sud ont porté la croissance du Nord jusqu’en 2008. Mais au prix d’un déficit commercial énorme : jusqu’à 10 % du PIB en Grèce, au Portugal ou en Espagne. Cela n’est évidemment pas viable.

Que faire ? Au lieu de blâmer les pays excédentaires, pour relancer leur demande interne par des hausses de salaires et des prestations sociales, l’Europe fustige les pays déficitaires : « Réduisez salaires et dépenses sociales pour créer un choc de compétitivité, réduisez la dépense publique pour réduire la dette publique. » Telle est la potion néolibérale administrée. Après trois ans de ce régime, où en est-on ? Au prix d’une austérité brutale, les pays du Sud résorbent leur déficit commercial [^3], non par leurs exportations (sauf un peu en Espagne), mais par la chute de leurs importations via l’effondrement de leur demande interne.

L’Europe du Sud connaît une véritable dépression. La production chute ; de ce fait, le ratio dette publique rapportée au PIB explose. Et tout s’enchaîne : le Nord refusant de relancer réellement ses salaires [^4], l’inflation y est faible (à peine plus de 1 % en Allemagne aujourd’hui). Pour regagner en compétitivité, le Sud doit donc faire moins : mais c’est la déflation. La pire des situations : les prix baissent, les consommateurs et les entreprises reportent leurs achats, la demande chute, les entreprises baissent leurs prix pour vendre malgré tout, ce qui alimente la déflation. Le piège se referme : l’écart entre le taux de croissance du PIB (devenu négatif) et le taux d’intérêt réel (très élevé puisque les taux nominaux sont importants et que de surcroît les prix baissent) devient négatif dans des proportions exorbitantes. Ce qui accroît d’autant la dette publique.

Après la Grèce, prochainement, le Portugal ne va plus pouvoir payer sa dette. La BCE va-t-elle intervenir ? Pas sûr, car l’Allemagne le refuse pour l’heure. Mais, même si elle le fait, cela ne résoudra rien au fond : le seul moyen de sauver l’euro serait l’« inflation interne », soit une hausse des salaires et des prestations sociales partout en Europe, mais plus fortement en Allemagne. Bref, il faudrait que l’Allemagne cesse d’être allemande, la lutte contre l’inflation étant stupidement au cœur de son pacte social. C’est donc loin d’être gagné. À défaut, c’est l’euro qu’il faudra remettre en cause : il faut décidément s’y préparer.

[^2]: C’est la France qui a lancé cette politique, en 1983, sous Mitterrand, avec la « désinflation compétitive ».

[^3]: La France, où l’austérité a été moins brutale, connaît toujours des déficits.

[^4]: L’introduction d’un salaire minimum en Allemagne est une bonne chose, mais cela ne suffira pas.

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