Les travailleurs dupés

Les ministres du Travail sont d’accord pour lutter contre les fraudes liées aux travailleurs détachés, sans mettre en cause le dumping social.

Thierry Brun  • 12 décembre 2013 abonné·es

L’accord concernant la fraude aux salariés européens « détachés » par une entreprise dans un autre pays de l’Union européenne (UE), obtenu le 9 décembre à Bruxelles par les ministres européens du Travail, a des allures d’opération électoraliste. Son objectif ? Désamorcer le sujet explosif du dumping social organisé par les entreprises européennes prestataires de services. Celles-ci s’appuient légalement sur la directive européenne de 1996 sur le détachement de travailleurs, ainsi que sur celle de 2006 (directive Bolkestein) généralisant le principe de la « liberté de prestation de services » dans l’UE pour une mise en concurrence sans limite des salariés. Dans ce contexte, qui a favorisé le développement de la fraude aux travailleurs détachés, le gouvernement français a annoncé à grand bruit avoir obtenu du Conseil des ministres européens du Travail les moyens de lutter contre les abus. Michel Sapin a ainsi salué « un accord en tout point conforme à ce que voulait » François Hollande, alors que se profilent les élections européennes de mai 2014.

Or, la Commission européenne prévoyait déjà de sanctionner plus efficacement les cas de fraude au détachement dans une nouvelle directive, présentée en mars 2012, révisant la législation de 1996. Le contenu de cette directive ne devrait donc être modifié qu’à la marge, ce qui a fait dire à la ministre lituanienne du Travail, Algimanta Pabedinskiene, dont le pays assure la présidence semestrielle de l’UE : [cela] « va nous permettre d’avoir une concurrence loyale avec une égalité de traitement entre tous les travailleurs. » Autrement dit, le marché l’emporte sur les droits sociaux, car les ministres du Travail n’ont en rien touché aux clauses qui privent les travailleurs détachés « de leurs droits légitimes en matière de rémunération et de protection sociale », a dénoncé Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats. Quelques semaines avant la réunion des ministres européens du Travail, Michel Sapin avait dévoilé un plan de lutte contre le travail illégal. Et promis qu’il mettrait en œuvre les outils juridiques et les moyens humains permettant de lutter contre ces fraudes concernant les travailleurs détachés. Cette déclaration d’intention n’a pas convaincu les inspecteurs du travail qui bataillent contre le « plan Sapin » et dénoncent la réduction de leurs moyens de contrôle et de sanctions… Une raison supplémentaire de douter de l’efficacité de l’accord obtenu à Bruxelles.

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