Fipa : la caméra explore le siècle

De la Première Guerre mondiale aux combats des femmes yéménites, la dernière édition du Festival international des programmes audiovisuels de Biarritz a conjugué histoire et actualité, sans oublier un brin de légèreté.

Jean-Claude Renard  • 29 janvier 2014 abonné·es

Centenaire oblige, le téléspectateur va bouffer de la Grande Guerre. Pendant longtemps, ce cataclysme qui fit entrer le monde dans le XXe siècle a été délaissé par le petit écran. Parce que le conflit faisait papy, parce qu’il était phagocyté par la Seconde Guerre mondiale. Parce qu’il existe peu d’archives, de photographies, sinon celles de la propagande, parfois difficiles à analyser, à négocier, à identifier pour les réalisateurs. Ces dernières années ont connu un tournant, marqué par la mort du dernier poilu, Lazare Ponticelli (en 2008). Avec sa disparition, dans une certaine mesure, la Première Guerre mondiale, dépourvue de ses derniers témoins, suscite l’intérêt et la curiosité, sort du déni de l’histoire, entre dans la petite lucarne.

Dans une sélection éclectique de quatre-vingt-dix œuvres inédites, orchestrée par François Sauvagnargues, croisant registres et formats, cette 27e édition du Festival international des programmes audiovisuels (Fipa) en a donné un avant-goût, avec plusieurs films articulés autour de 14-18. Tous genres confondus. Jusqu’à la série, coproduite par France Télévisions, en six épisodes de 52 minutes, réalisée par Olivier Schatzky : Ceux de 14, adaptée du recueil éponyme de Maurice Genevoix. Le réalisateur en reprend la trame autobiographique, celle d’un homme issu du monde paysan, normalien mobilisé en 1914, confronté comme toute une génération au bruit et à la fureur des obus, cloué aux pieds de la butte des Éparges avant d’être blessé puis évacué, avec le sentiment amer de l’absurdité du conflit. La série ne convainc qu’à moitié, sans doute à cause d’un trop-plein de couleurs saturées, de gros plans forçant le trait des horreurs de la guerre. Une exagération dont s’épargne le réalisateur belge Jan Matthys pour la saga familiale Dans les champs flamands, chassant les traces sociales et les pas de côté du conflit dans une fiction évoquant le destin tragique d’une poignée de personnages ballottés par la Grande Guerre, les uns s’accommodant de l’occupation allemande, les autres périssant sur le front.

Plus ambitieuse est la série documentaire du réalisateur allemand Jan Peter (coproduite par Arte), en huit volets de 52 minutes, 14, des armes et des mots. Une série pêle-mêlant fiction, images d’archives, documentaire et animation, bâtie sur les journaux intimes de quatorze personnages. Des soldats, des civils, des hommes et des femmes aux nationalités diverses qui racontent leur guerre, certains étant au front, déportés, d’autres ayant été condamnés aux travaux forcés, emprisonnés. Croisant les regards, Jan Peter réussit un film choral, polyphonique, subtil et sombre, sans spectaculariser son récit. Loin de ce chaos infernal, et résolument actuel, le Festival a rendu compte aussi d’un petit écran taraudé par les soubresauts d’un autre monde moderne (si l’on songe que la Grande Guerre est également de plain-pied dans la modernité), celui d’aujourd’hui. À commencer par Yémen, le cri des femmes, de Manon Loizeau, attachée aux insurrections et aux répressions oubliées du reste du monde, suivant la révolte des femmes yéménites entre 2011 et 2013, à travers le portrait de trois d’entre elles : l’une devenue représentante des jeunes au sein du dialogue national, une autre ayant campé deux ans avec ses cinq enfants sur la place du Changement, et Tawakol Karman, prix Nobel de la paix en 2011. Chacune incarnant la volonté et le besoin de libération de la parole des femmes (qui iront jusqu’à brûler leur voile sur la place publique et à s’opposer à l’armée), dans un pays où Ali Saleh règne sans partage depuis trente-trois ans. Le goût de l’insurrection, c’est aussi ce que filme Franck Salin ( Sur un air de révolte ), revenant sur l’ébullition sociale de la Guadeloupe en 2009, marquée par quarante-quatre jours de grève générale.

À mille lieues des agitations politiques, avec Chante ton bac d’abord !, David André a choisi un autre regard sur le monde, celui d’une bande de copains de 17 ou 18 ans, résidant à Boulogne-sur-Mer, ville touchée par la désindustrialisation et le chômage. Une poignée d’adolescents qui expriment leurs rêves plutôt que leur plan de carrière au moment du bachot, qui doutent, s’accrochent à leurs ambitions, se racontent face caméra en chansons, faisant ainsi du film un documentaire social et musical, plongeant le propos réaliste dans la magie, flirtant avec la fiction. Documentariste qui ne fait rien comme tout le monde (l’époustouflant Une peine infinie, sur le sens de la peine de mort, et la Vie amoureuse des prêtres, c’est lui), David André filme la légèreté de l’insouciance. Cette même insouciance qui traînait dans la caboche des jeunes hommes nés dans les années 1890, partant au front en 1914. Maurice Genevoix en était. Et d’autres.

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