Jean-Pierre Filiu : « Seule l’opposition peut chasser Al-Qaïda »

Spécialiste du monde arabe et arabisant, Jean-Pierre Filiu analyse la situation à la veille de la conférence Genève 2.

Denis Sieffert  • 23 janvier 2014 abonné·es

Pour Jean-Pierre Filiu, l’invitation faite par l’ONU à l’Iran pour la conférence de paix Genève 2 est un véritable coup de poignard dans le dos porté à l’opposition et fait fi d’une évolution essentielle du conflit : la « seconde révolution » engagée sur le terrain contre Al-Qaïda.

Que s’est-il passé dans les dernières heures de la préparation de la conférence Genève 2, notamment autour de la présence de l’Iran ?

Jean-Pierre Filiu : Ce qui se passe est l’effet pervers de l’internationalisation d’un conflit interne. Le fait que Ban Ki-moon veuille imposer l’Iran confirme le caractère décalé de l’exercice. La preuve qu’une négociation qui nie la composante essentielle de la révolution ne peut pas aboutir. En œuvrant pour une internationalisation volontariste, les diplomates donnent une prime à la capacité de nuisance.

Mais est-ce la présence de l’Iran en tant que telle qui aurait posé problème – car après tout, qu’on le veuille ou non, c’est un acteur du conflit – ou sa position ?

L’Iran s’est déclaré hostile à toute discussion sur la transition, qui est pourtant l’ordre du jour accepté par l’opposition. La vérité, c’est que dans la structure du pouvoir iranien, le Président, Hassan Rohani, n’a pas la maîtrise du dossier syrien. C’est le guide suprême, Ali Khameneï, qui a la haute main, et les Gardiens de la révolution. Ces derniers profitent de cette économie de guerre. Il n’y a donc rien à attendre de ce côté-là. L’invitation lancée à la dernière minute à l’Iran a été un véritable coup de poignard dans le dos de l’opposition qui avait donné son accord. Les maîtres d’œuvre de Genève 2 à l’ONU ont perdu le sens de la réalité. Ils sont pris dans une logique dans laquelle la seule chose qui compte, c’est qu’il y ait le plus de monde possible autour de la table. Pendant ce temps-là, les massacres continuent. Le régime n’a plus droit à l’arme chimique, mais il use d’autres armes. Des barils de TNT sont déversés sur la population. Et il y a l’arme de la famine. Dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, assiégé depuis septembre, c’est l’arme alimentaire.

Où en est l’opposition sur le terrain ?

Les diplomates n’ont pas tenu compte d’un événement considérable, c’est le combat engagé par l’opposition pour chasser Al-Qaïda, notamment à Alep. L’opposition parle de la « seconde révolution ». Car c’est l’opposition qui combat Al-Qaïda, pas le régime de Bachar Al-Assad. Et cela au prix d’un coût humain considérable. Et non seulement le régime ne combat pas Al-Qaïda, mais lorsqu’à Alep, l’opposition affronte Al-Qaïda, le régime bombarde l’opposition. C’est bien la preuve que les seuls capables d’expulser Al-Qaïda, ce sont les révolutionnaires.

Vous êtes très sceptiques sur l’issue de Genève 2, mais alors quoi faire ?

Il ne faut pas des grands « machins ». Il faut du concret et du local. À Alep, le gouvernement est prêt à négocier. Il faut en profiter pour créer une structure locale de transition. Il existe aujourd’hui des patriotes dans les deux camps. C’est-à-dire des gens qui pensent qu’il faut négocier. Il est sans doute plus efficace de faciliter leurs discussions que de renforcer l’internationalisation du conflit.

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