La démocratie en piteux état

On ne prêterait guère attention aux escapades présidentielles s’il n’était pas surtout paru infidèle à sa parole politique.

Denis Sieffert  • 16 janvier 2014 abonné·es

En 48 heures, et en attendant la conférence de presse de François Hollande, nous sommes donc passés de la nauséabonde affaire Dieudonné à une histoire de coucherie présidentielle. Malgré le talent de certains de nos confrères pour transformer des sujets médiocres en vastes (et passionnants) débats de société – « où commence et où finit la liberté d’expression ? » ; « un président de la République a-t-il droit à une vie privée ? » –, cela n’est pas fait pour améliorer la relation des Français avec le personnel politique. Car on n’empêchera pas nos concitoyens de retenir de ces épisodes l’impression diffuse d’une grave crise morale, sur fond de paysage politico-social sinistré. Si on ajoute à cela la trahison de deux mystérieux sénateurs de gauche qui ont voté contre la levée de l’immunité parlementaire de Serge Dassault, nous avons le tableau d’une démocratie en piteux état.

Même Manuel Valls, quoi qu’il en pense, n’est sans doute pas sorti indemne de son bras de fer avec Dieudonné. Il a trop ostensiblement voulu transformer une bataille juste en affaire d’État au profit de son image personnelle. Après tant de dérapages, ses regrets sur l’absence de « Blancs » dans le marché d’Évry, ses stigmatisations des Roms qu’il faut renvoyer chez eux, et son acharnement à relancer le débat sur le voile (voir l’article de Michel Soudais, en page 6), le ministre de l’Intérieur ne semble finalement plus très éloigné de cette obsession de l’identité nationale que nous avons tant reprochée à ses prédécesseurs. Quant aux frasques de François Hollande, on a beau dire que les Français s’en fichent, ce n’est pas si simple. D’abord parce que la presse, et pas seulement la presse de caniveau, s’en est emparée. Ce qui est en soi le signe des avancées de l’idéologie libérale dans notre société. Tout fait commerce. Tout est marchandise. Mais aussi parce que les gazettes ont de bonnes raisons qui ne sont pas uniquement mercantiles.

Les aventures et mésaventures du Président auraient sans doute eu moins d’écho si son bilan économique et social était positif. Et on ne prêterait guère attention à ses escapades à scooter si les plans sociaux ne s’empilaient pas jour après jour, jusqu’à donner le sentiment d’un abîme sans fond. Bref, si cet homme n’était pas surtout paru infidèle à sa parole politique. La légèreté du plus haut responsable de l’État fait mauvais effet quand se nouent tant de drames sociaux. Car on a beau vouloir dresser un mur de principes entre le jugement que l’on porte sur la personne publique et sa vie privée, la confusion est à peu près inévitable. C’est un seul et même portrait qui prend forme devant nous. L’irresponsabilité d’un président de la République qui s’est fait piéger par les paparazzis d’un magazine people, tout sauf innocent politiquement, et l’imprudence qui consiste pour lui à aller à des rendez-vous galants dans un appartement dont la locataire était, paraît-il, sensible au charme des bandits corses du gang de la « Brise de mer » (on nage en plein roman, vivement le film !) ne rassurent guère. Ce serait peu de chose à nos yeux de citoyens si François Hollande était « rassurant » sur le plan politique. Mais, comme chacun sait, ce n’est pas vraiment le cas. L’affaire va-t-elle « fragiliser » encore un peu plus François Hollande, ou même le « déstabiliser », comme le prédisent certains de nos confrères ? C’est sans doute ce que cherche Jean-François Copé, qui ne rate décidément jamais une occasion d’asséner un coup bas. Le président de l’UMP a été le premier, et quasiment le seul, avec le très sarkozyste Éric Woerth, à exploiter l’affaire sur le terrain politique. De ce côté-là, on rumine des idées de revanche. Ce qui n’a d’autre logique que celle du pouvoir puisque François Hollande fait à présent la politique qui correspond aux intérêts de la base sociale de l’UMP. Et ce qui tend à prouver que le seul parti de droite cohérent, c’est aujourd’hui le Medef.

À la veille de la conférence de presse présidentielle, le patron des patrons, Pierre Gattaz, a lancé sa campagne « un million d’emplois ». Une façon de refermer un peu plus le piège sur François Hollande. Le slogan du « million d’emplois » remplira dans le discours public la fonction de « contrepartie » au « pacte de responsabilité » annoncé par le président de la République lors de ses vœux. Mais, en vérité, il n’y aura évidemment ni condition ni contrepartie à l’allégement des charges sociales des entreprises. Ni aucune obligation à embaucher. Les contreparties, ce sont les ménages et les salariés qui les paieront. Résumons-nous : un ministre de l’Intérieur qui ressemble de plus en plus à Sarkozy et un Président qui est dans l’épure de la politique libérale, l’élection présidentielle, c’était il y a un siècle.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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