Le siècle de Jean-Pierre Vernant

Le parcours politique et intellectuel de l’historien et résistant.

Olivier Doubre  • 23 janvier 2014 abonné·es

Nous fêtons cette année le centenaire de la mort de Jaurès, mais il est un autre centenaire que cet ouvrage vient rappeler. Celui de la naissance de Jean-Pierre Vernant, immense historien de la Grèce ancienne, que les recherches pluridisplinaires firent élire au prestigieux Collège de France, mais aussi militant et résistant de la première heure.

À cette occasion, l’historien François Hartog, ex-président de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), ancien élève de Jean-Pierre Vernant, auquel il a consacré plusieurs ouvrages, introduit ici la « parole » de son maître. Celle d’un homme « de la parole », mais surtout d’un « homme de parole ». De fait, ce petit livre nous offre la parole de Jean-Pierre Vernant, retranscrite ici quasiment brute, donnant à découvrir le phrasé particulier qui était le sien, privilégiant le tutoiement, le professeur avouant d’emblée avoir « beaucoup de mal à vouvoyer les gens qui [lui] sont sympathiques ». Cet opus est le neuvième de la belle collection des éditions de l’EHESS intitulée « Audiographie », qui, sur une idée de l’historien Philippe Artières et du sociologue Jean-François Bert, propose en effet la retranscription d’archives orales d’intellectuels de premier ordre, dont Raymond Aron, Michel Foucault ou Émile Durkheim.

Par cet entretien du 12 juin 1992 avec Christian Delangle, archiviste du Collège de France, Jean-Pierre Vernant inaugurait une série d’interviews de « Mémoires du Collège de France ». Il est précédé d’une présentation par François Hartog, rappelant les « qualités d’orateur largement reconnues » du professeur, en premier lieu par son ami et collègue l’historien Pierre Vidal-Naquet, et retrace le parcours politique et intellectuel de cet enfant de la Troisième République. Orphelin d’un père réformé mais engagé volontaire comme deuxième classe en 1914, tué sur la Somme l’année suivante, puis rapidement de mère, élevé par oncles, tantes et cousins, mais surtout « selon l’ordre des copains » (F. Hartog), Vernant fut d’abord philosophe. Reçu premier à l’agrégation en 1937 (après son frère en 1935 !), nommé professeur de lycée à Toulouse par le régime de Vichy en 1940, avant de plonger dans la Résistance dès 1942 et d’entrer en 1944, colonel, à la tête des FFI pour libérer la ville. Rejoignant le CNRS en 1948, Vernant mêla ensuite ses engagements communistes antistaliniens à une lecture novatrice de la Grèce ancienne, qui voulait embrasser toutes les disciplines des sciences humaines pour mieux décrypter le berceau de l’idée démocratique. À retrouver ici la voix de Jean-Pierre Vernant, on mesure combien cet intellectuel majeur, disparu en 2007, nous manque.

Idées
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