L’eusko, basque, solidaire et écolo

En moins d’un an, la monnaie locale du Pays Basque a séduit 2 700 personnes et 500 commerces, au service de l’emploi, de la langue et du tri des déchets.

Patrick Piro  • 23 janvier 2014 abonné·es

Café des Pyrénées, repère stratégique du Petit-Bayonne sur la place Saint-André. Au comptoir, un jeune homme remplit un formulaire d’adhésion à Euskal Moneta. C’est l’association qui porte l’eusko, la monnaie complémentaire locale du Pays Basque. Xina Dulong, le gérant, délaisse un instant le service des boissons pour lui présenter les cinq coupures en circulation – 1, 2, 5, 10 et 20 euskos. Comme plus de 120 commerçants, artisans, entreprises ou professionnels de Bayonne, il accepte indifféremment les deux monnaies pour le paiement des consommations. Le Café des Pyrénées est par ailleurs habilité à faire le change : 1 eusko pour 1 euro, « et sans commission », précise Xina Dulong.

Lancé le 31 janvier 2013 par des bénévoles, l’eusko est rapidement devenu la plus importante des monnaies complémentaires de France. Né à Bayonne [^2], il s’est rapidement diffusé dans une bonne partie du Pays Basque, où quelque 500 vitrines portent l’affichette : « Ici nous acceptons l’eusko ». Vingt enseignes, réparties dans 16 villes, font office de bureau de change. Près de 2 700 personnes ont adhéré en un an, et environ 230 000 euskos seraient en circulation dans la région. La conversion monétaire inverse est possible à tout moment : la loi oblige l’association à détenir les euros correspondant aux euskos en circulation. Ils sont placés à la Nef, une société coopérative de finances solidaires, sur un livret orienté « économie sociale et solidaire », dont les revenus participent au développement du projet. L’eusko a parfaitement exploité les spécificités de cet outil financier pour le mettre au service d’objectifs locaux, non seulement économiques, mais aussi sociaux, culturels et écologiques. Dans cette région riche d’initiatives de défense du fait basque, l’eusko s’affiche au service de l’emploi local, de la promotion de l’euskara (la langue basque) et de la protection de l’environnement.

L’idée de monnaies complémentaires, locales, citoyennes ou sociales, leviers d’action sur l’économie, n’est pas nouvelle. Les périodes de récession sont propices à leur développement pour maintenir des échanges économiques. En France, une plateforme mutualisant les informations sur les monnaies complémentaires locales (monnaie-locale-complementaire.net) recense une vingtaine de monnaies sociales en circulation, ainsi qu’une douzaine de projets en cours de réalisation. Deux circuits coexistent. Le Sol, lancé sous forme électronique en 2005, a été créé en partenariat avec les collectivités publiques et des mutuelles, banques et coopératives, notamment le groupe Chèque Déjeuner. Un autre réseau de monnaies sociales se développe depuis 2010, sans partenariat public ou privé.
Pour ce faire, un comité d’agrément examine chaque mois les nouvelles candidatures pour intégrer l’eusko. Les gérants doivent signer une charte et s’engager à favoriser les approvisionnements locaux, le recours à des prestataires membres du réseau ou encore à pratiquer le tri des déchets. Ne sont pas admises les entreprises de la grande distribution ou de l’agriculture industrielle et hors-sol. Il est demandé aux postulants d’afficher à l’intention des clients leur niveau de connaissance de la langue et d’accepter de traduire leur affichage en basque, ou à défaut de prendre en charge 20 heures de cours pour eux-mêmes ou un employé chargé de l’accueil du public. Un annuaire régulièrement mis à jour ^3 répertorie les membres de la famille eusko. « La forte conscience qu’ont les gens de l’identité basque a contribué à l’essor rapide de cette monnaie », reconnaît le coordinateur d’Euskal moneta Xabi Camino, qui présentait la devise lors du rassemblement climatique Alternatiba organisé début octobre à Bayonne [^4]. Les concepteurs de l’eusko ont imaginé d’autres leviers que le commerce pour servir leurs objectifs. « L’une des originalités tient à la possibilité, pour un adhérent, de désigner l’association de son choix comme bénéficiaire d’un versement correspondant à 3 % des montants qu’il change en euskos », souligne Xebax Christy, du comité de pilotage d’Euskal Moneta. Pour être éligible, l’association doit être membre du réseau et avoir été désignée par au moins trente adhérents. Euskal moneta a déjà distribué 9 000 euros à vingt-cinq associations.

La monnaie locale s’est également associée à Herrikoa. Cette société d’investissement solidaire, dédiée au développement de l’économie et de l’emploi en Pays Basque, est une référence : en trente ans, elle est parvenue à collecter treize millions d’euros d’épargne locale, investis dans près de 300 entreprises, avec la création ou le maintien de plus de 2 800 emplois. Pour chaque euro converti en eusko, Herrikoa abonde d’un montant équivalent un fonds destiné à financer des projets locaux choisis par Euskal Moneta. Trente mille euros ont déjà été attribués, à l’éditeur Hodei, qui développe un moteur de recherche local moins énergivore que Google, et à Kom’on, agence de communication bilingue français-basque auprès des entreprises et des associations. « Cette monnaie contribue à changer les pratiques en Pays basque, se réjouit Xabi Camino. Et nous allons faire monter nos ambitions. »

[^2]: Avec l’aide d’une subvention de la ville et du conseil général des Pyrénées-Atlantiques principalement.

[^3]: www.euskalmoneta.org

[^4]: Voir Politis n° 1282, 19 décembre 2013.

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La gauche à Hollande
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