« On n’offre pas du travail, on accompagne les demandeurs »

Après avoir été demandeur d’emploi, Jacques est devenu conseiller Pôle emploi. Il détaille son parcours et ses missions.

Ingrid Merckx  • 16 janvier 2014 abonné·es

Jacques cherche du travail depuis deux ans quand il décroche enfin un poste… à Pôle emploi. On lui propose de devenir conseiller, moyennant une formation. La rémunération est équivalente à son indemnité, mais, à quelques années de la retraite, Jacques n’a pas envie de terminer sa vie professionnelle au chômage. Anciennement commercial dans une petite entreprise familiale, il découvre l’administration. Pendant sa formation, en banlieue parisienne, il souffre : « Des tonnes d’informations, de sigles, de protocoles à ingurgiter. Crainte de n’y arriver jamais » Il a aussi la « vague impression » qu’il lui faudrait « rejeter les gens ». Or, lui, s’il finit par accepter ce job, c’est pour « l’humain ». Parmi ses missions de conseiller, c’est donc sur le « Service relation client » que Jacques met l’accent. Même si le terme « client » lui déplaît. « Il faudrait prévenir qu’à Pôle emploi on n’offre pas du travail, on accompagne les demandeurs d’emploi. Seuls 15 % des recrutements des entreprises se font par Pôle emploi, service public national ! Si encore les entreprises étaient obligées d’y déposer leurs offres… » Mais cette obligation a été levée sous la présidence de Jacques Chirac. Un tiers seulement des offres passeraient par Pôle emploi. Ce qui laisse un boulevard au secteur privé.

Maud Alessandrini est une « matermittente » : enceinte et intermittente. Ou plutôt, elle l’était, car elle a perdu son statut pendant sa grossesse… il y a trois ans. Elle n’a pourtant touché encore aucune indemnité pour son congé maternité. Depuis 2003, les intermittentes ont droit à ce congé. Sauf que les calculs de Pôle emploi et de la Caisse primaire d’assurance maladie ne correspondent pas. Si Maud répondait aux critères du premier pour être reconnue comme intermittente – avoir travaillé au moins 507 heures les 10 derniers mois comme réalisatrice et monteuse –, elle ne collait pas à ceux de la seconde : avoir effectué 800 heures dans les 12 derniers mois ou 200 heures les trois derniers. Pôle emploi a dû s’aligner, et Maud pâtit d’une période d’inactivité sur son CV, un « trou » sans lien avec la réalité. Le procès qui l’oppose à la CPAM doit se tenir à Versailles le 21 janvier. Devenue auto-entrepreneuse, elle s’insurge contre un vide juridique qui exclut un certain nombre d’intermittents : « Pour les congés maladie, c’est le même problème. »

Ce qui a frappé Jacques en arrivant dans son antenne parisienne ? Certains « anciens », conseillers depuis trente ans, auraient « encore tendance à considérer les chômeurs comme des feignasses ». Ce qui n’est pas le cas des conseillers embauchés plus récemment, qui « savent ce que c’est que le chômage. » En outre, il déplore une scission entre les « Assedic » et les « ANPE », ainsi qu’ils s’appellent entre eux. La fusion entre l’organisme qui enregistrait les chômeurs et les indemnisait et l’établissement public qui centralisait les offres et demandes d’emploi ne s’est en réalité jamais faite. « On doit donc naviguer entre deux cultures différentes. Les “Assedic” fonctionnent comme le privé. Les “ANPE” sont plus dans l’esprit service public. » Autre problème : l’inflation du nombre de demandeurs d’emploi par conseiller. Lui, en tant que senior fraîchement arrivé, on ne lui en a pas confié trop. « Ainsi, j’arrive à suivre correctement les gens. Je m’attache à faire du coaching personnel. » Selon lui, les conseillers n’ont pas de pression sur les résultats, ce sont les directeurs qui en auraient et la répercuteraient sur les responsables d’équipe. Jacques voudrait pourtant rétablir des vérités qui vont à l’encontre idées reçues. Non, les chômeurs qui arrivent en fin de droits ne sont pas pris par surprise : dès le départ, ils connaissent l’échéance. Ce qui tombe brutalement, en revanche, ce sont les radiations, quand un demandeur ne se présente pas à une convocation. « Mais on n’est radié que pour deux mois, on peut revenir après. Et puis des solutions existent, même en fin de droits. » Et de détailler, en bon conseiller, tous les dispositifs que les gens ignorent.

Le hic, c’est que les conseillers n’ont pas toujours le temps de faire leur travail correctement. En raison du nombre de personnes à accompagner et de l’obligation d’être « multitâches ». « Pôle emploi fait des économies sur tout, même le papier : les lettres de radiation, par exemple, partent par la poste. Elles sont violentes, les gens ne les loupent pas. Mais les convocations se font via le site de Pôle emploi. Or, un mail, ça se rate. » Aujourd’hui, Jacques est de nouveau demandeur d’emploi, à dix-huit mois de la retraite. Pôle emploi n’a pas renouvelé son contrat.

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