Parfois penseur varie

Étrange philosophie qui distingue les formes de xénophobie devant être dénoncées et celles qui seraient admissibles.

Sébastien Fontenelle  • 16 janvier 2014 abonné·es

Perso, la liberté d’expression, si c’est pour que les taré(e)s du Klan puissent tranquillement parader dans les rues de Birmingham, Alabama, je m’assois dessus, je préfère t’en prévenir. T’es un(e) nazi(e) de merde (pléonasme) ? Je ne suis pas du tout d’accord avec ce que tu dis, et je ne vais surtout pas me battre pour que tu puisses l’exprimer – foutre non, pas si con. Ceci posé, je constate ces jours-ci que, dans ces matières, d’aucuns, parmi « nos » plus réputés clercs de presse et de médias, font preuve, à l’heure d’énoncer leurs points de vue, d’une souplesse qui a du moins la vertu collatérale d’établir qu’ils ne sont peut-être point si sots qu’on pourrait certaines fois le supposer sur la seule foi de leurs navrantes divagations – puisque aussi bien, comme dit fort bien le dicton berrichon que tu sais, n’y a qu’les imbéciles qui changent point d’avis, mon Rémi.

Alain Finkielkraut, par exemple – qui n’est certes pas le moindre de ces philosophes de grande écoute –, déclamait ce week-end, dans le Figaro (où il a, comme en de nombreux autres endroits presseux, un rond de serviette), et dans le cours d’un long commentaire de l’ « affaire » qui porte désormais le nom d’un ex-amuseur reconverti dans le dégueulis antisémite (pléonasme, bis), ceci, que, je cite : « Il est normal que la liberté d’expression soit encadrée. » Et cela est intéressant, mais que proclama le même fier prosateur, il y a huit ans [^2] exactement, lorsqu’il se porta au prompt renfort d’un autre penseur de niveau 9, du nom de Redeker (et du prénom de Robert), qui avait, quant à lui – mais déjà dans le Figaro  – posément proféré d’insignes délicatesses d’où ressortait que « l’islam est une religion qui, dans son texte sacré même, autant que dans certains de ses rites banals, exalte violence et haine »  ? Il proclama que la défense de la liberté d’expression de l’imprécateur devait être absolue, et qu’aucun « mais » ne devait l’entraver, que le « soutien » au libre parleur « d(eva)it être inconditionnel », et que c’était – vois si le gars était haut – « visiblement une question de vie ou de mort ».

En somme, et si ses mots ont un sens : Alain Finkielkraut est, contre l’antisémitisme, d’une très rigoureuse intransigeance – et c’est bien le moins. Mais contre l’expression de vilenies islamophobes, il est vachement moins catégorique, et juge qu’elle ne doit surtout pas être limitée – bien au contraire. Et je sais pas toi, mais moi, plus j’y réfléchis, plus je me dis que c’est une très étrange (et quelque peu dérangeante) philosophie que celle qui établit, de fait, parmi les différentes formes que revêt dans notre sinistre époque la xénophobie, une distinction entre celles qui doivent être dénoncées pour ce qu’elles sont et celles qui seraient, non seulement plus admissibles, mais, d’une certaine manière, émancipatrices – et qui d’une tartufferie ferait une sagesse.

[^2]: En 2006, donc : ça serait bien que tu apprennes un peu vite à compter tout(e) seul(e), je vais pas non plus passer ma vie à ton chevet, pénible assisté(e).

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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