Un virage, vraiment ?

Pour Hollande, aucune rupture mais une stricte continuité néolibérale.

Thomas Coutrot  • 23 janvier 2014 abonné·es

« Coup de poker », « virage historique », « tremblement de terre »… Les commentaires politiques soulignent presque tous l’audace inédite d’un Président qui rompt enfin avec le keynésianisme et la gauche. On peut se demander sur quelle planète habitaient ces commentateurs depuis mai 2012. Un bref rappel des principales décisions de politique économique du quinquennat peut aider à remettre les pieds sur terre. Blocage du Smic et des salaires des fonctionnaires, ratification du Traité budgétaire européen sans en changer une virgule, flexibilisation du travail avec l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013, non-réforme des banques, « choc de compétitivité » de 20 milliards (crédit d’impôt compétitivité emploi : CICE), hausse de l’impôt sur le revenu, y compris pour les classes populaires, hausse de la TVA, nouvelle réforme des retraites, programmation d’une baisse inédite des dépenses publiques (15 milliards par an)… Il y a belle lurette que le Président a renoncé au « rêve français » promis par le candidat.

La principale mesure annoncée par François Hollande n’est certes pas négligeable : la suppression des cotisations patronales pour la branche famille pourrait représenter un cadeau supplémentaire de 35 milliards d’euros pour les entreprises. Mais on ne sait pas encore s’il s’ajoutera au CICE ou le remplacera. Pour le reste, des coupes dans les dépenses publiques sont annoncées, sans qu’on sache non plus où elles vont être faites. Au total, donc, aucune rupture avec un quelconque « socialisme », aucune conversion « social-démocrate » mais une stricte continuité néolibérale. En réalité, la seule nouveauté est que, en supprimant les cotisations familiales, Hollande s’est explicitement aligné sur une déjà ancienne revendication du Medef. Sa conversion officielle au dogme de la compétitivité remonte au rapport Gallois, fin 2012, suivi de la mise en place du CICE. Pour les grands patrons, ce dernier allait dans le bon sens mais était trop compliqué. Plutôt qu’un crédit d’impôt, ils voulaient une franche réduction du salaire socialisé. Ils ont maintenant gain de cause.

Ce ne sont plus 15, mais 25 milliards par an de coupes dans les dépenses publiques qu’il va falloir trouver. Les pistes évoquées par Hollande – la fusion hypothétique de certaines régions, la lutte contre les « abus » de la Sécurité sociale – sont dérisoires au regard des montants évoqués. Cela annonce des attaques à venir d’une brutalité inédite contre la protection sociale et les services publics. Là est la vraie nouvelle, et là se trouve l’explication de l’enthousiasme des commentateurs. Il s’agit d’enfoncer le clou dans la tête des citoyens : pour lutter contre le chômage, il faut sabrer dans les dépenses sociales. Puisqu’un socialiste le dit, c’est vraiment qu’il n’y a pas d’alternative. La piste d’une taxe sur les transactions financières doit être débattue lors du Conseil des ministres franco-allemand du 19 février. Hollande et les banquiers français trouvent ce projet « excessif ». Le risque est fort que les mesures qui déplaisent aux banquiers – taxation des produits dérivés et des transactions à haute fréquence – soient renvoyées à un avenir lointain, au prétexte de « nouvelles études d’impact approfondies ». Il faudrait, pour l’éviter, que les citoyens et les opinions publiques française, allemande et européenne s’en mêlent énergiquement.

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