« Valeurs actuelles » : le journal du « tout-fout-le-camp »

Le magazine Valeurs actuelles est le fer de lance des nouveaux mouvements réactionnaires. Ses ventes explosent.

Pauline Graulle  • 30 janvier 2014 abonné·es

C’est le journal de « la France exaspérée », de la « France humiliée », de « la France tranquille » qui se « révolte ». Le journal des « petits Blancs », des « bâillonnés », du « peuple » contre « les élites ». Le journal de la France des clochers où, sur supplément sépia, on peut repasser son certif’ comme au bon vieux temps – avec problèmes d’arithmétique posés en « Nouveaux Francs » .

Travail, famille, patrie : le déclin guette, serine Valeurs actuelles à longueur de pages. Vite, restaurer la « valeur travail » contre « l’assistanat »  ! Protéger la famille des mains perverses de la gauche et de ses funestes projets de changement de « civilisation ». Sauver notre identité lorsqu’à nos portes le « fléau » des Roms n’attend que Schengen pour se propager plus encore. Sans parler de « l’invasion qu’on cache »  : ces musulmans qui, non contents de faire ouvrir « une nouvelle salle de prière chaque semaine en France », ont aussi conquis les entreprises et même « nos armées » pour se préparer au jihad… Alors, Valeurs actuelles est entré en « résistance ». Chaque semaine, le magazine de François d’Orcival s’indigne pêle-mêle de « la mort des campagnes françaises », du « racisme anti-blanc », du « maçon polonais », des « prisons passoires » ou de « la dictature des mœurs ». La révolution conservatrice est lancée ; Valeurs actuelles compte bien en être le vade-mecum. L’an dernier, en faisant descendre le lectorat traditionnel – la bourgeoisie versaillaise – dans les rues de Paris, la Manif pour tous a fait l’effet d’un porte-voix. Et d’un catalyseur. Depuis, le titre cartonne. Alors que toute la presse sombre dans le marasme économique, Valeurs actuelles affiche une santé insolente. Plus de 16 000 ventes en kiosque en 2013 (une hausse de 73 % en un an !), une augmentation des abonnés de 10 %… « On a franchi la barre des 100 000 diffusions payées, c’est du jamais vu dans l’histoire du journal », se félicite Yves de Kerdrel, débarqué du Figaro pour lancer, début 2013, la nouvelle formule de l’hebdomadaire. Une formule plus « pêchue » (sic), imaginée pour répondre aux attentes d’un lectorat « qui trouvait que nous n’allions pas jusqu’au bout de notre pensée, notamment sur le mariage pour tous ».   Bon élève, l’hebdomadaire tape donc désormais sans vergogne sur Christiane Taubira et sa loi « inique » du « mariage gay ». On ne compte plus les pages dédiées à la « génération rebelle »  : Marie-Capucine, François-Xavier ou Albéric, ces jeunes « insurgés » qui dénoncent « l’hédonisme ambiant » et « les désordres du libertarisme hérité de Mai 1968 » .

Mais ses plus grands succès restent l’apanage des unes les plus outrancières, comme « Roms, l’overdose » ou « Ces étrangers qui pillent la France ». « On vise la France des invisibles, la France périurbaine qui se sent abandonnée par Paris, délaissée par les services publics, et qui a besoin de se replier sur des valeurs traditionnelles », analyse froidement Yves de Kerdrel. Traditionnelles ou carrément xénophobes ? On ne s’interdit pas, en tout cas, de donner la parole à Marion-Maréchal Le Pen ou à Basile de Koch (le mari de Frigide Barjot tient une chronique). Mais aussi à Jean-Pierre Chevènement et à la droite « républicaine ». Jean-François Copé, Christian Estrosi, Henri Guaino, Geoffroy Didier ou Nathalie Kosciusko-Morizet se bousculent au portillon pour venir parler à ce lectorat en pleine expansion.

Publié dans le dossier
Le retour de l'ordre moral
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