À Paris, le « millefeuille » gagne un étage

En 2016, 6,8 millions de personnes seront regroupées dans le Grand Paris. Une organisation kafkaïenne.

Michel Soudais  • 27 février 2014 abonné·es

Le « big-bang » territorial de l’Île-de-France est étonnement absent de la campagne municipale. Pourtant, le regroupement imposé de 124 communes de « l’aire urbaine » de Paris dans la Métropole du Grand Paris (MGP) aura des répercussions importantes sur la vie de la population concernée, soit quelques 6,8 millions de personnes. Définitivement adoptée à l’Assemblée nationale cet automne, la naissance de ce gros bébé, qui se substituera aux 19 intercommunalités existantes, est programmée pour le 1er janvier 2016. Presque demain.

Dotée de pouvoirs étendus, la MGP aura en charge, « en lieu et place de ses communes membres », stipule la loi, l’aménagement de l’espace, la politique locale de l’habitat (y compris les aides financières au logement social), la politique de la ville, le développement et l’aménagement économique, social et culturel, ainsi que la protection et la mise en valeur de l’environnement et la politique du cadre de vie (pollution de l’air, nuisances sonores, plan climat-énergie…). Elle sera dirigée par un « conseil de la métropole » composé d’un conseiller par commune plus un par tranche de 25 000 habitants. Et sera « organisée en territoires, d’un seul tenant et sans enclave, d’au moins 300 000 habitants », administrés par des « conseils de territoires » constitués de représentants des communes ; ces conseils, contrairement aux intercommunalités qu’ils remplacent, auront un rôle essentiellement consultatif, et seront sous tutelle financière, administrative et politique du conseil de la métropole. Pour ses concepteurs, le gouvernement et une quarantaine de députés franciliens, la MGP « permettra de répondre enfin à la crise du logement et à l’urgence sociale tout en améliorant la lutte contre la pollution et la prévention de la délinquance ». « Elle sera surtout un outil moderne pour renforcer l’attractivité et le dynamisme économique » de la métropole parisienne dans la compétition mondiale que se livrent les grandes métropoles comme Londres, Berlin ou New York, ajoute Jean-Marie Le Guen. Le député de Paris, qui a beaucoup œuvré pour en finir avec « les limites administratives héritées du passé », expliquait froidement dans une tribune au Figaro que c’était « d’ailleurs ce que réclament les entreprises depuis plusieurs années ».

À côté de ce véritable objectif, la promesse de « renforcer l’égalité entre les territoires », notamment par une harmonisation fiscale, relève de l’affichage. Elle est d’ailleurs contestée par Patrick Braouezec, président de Plaine-Commune, qui cite en exemple la « dotation de solidarité communautaire » : elle va apporter 72 millions à Paris et 2,2 millions à Neuilly, qui ne la touchaient pas, n’étant pas jusqu’ici dans une intercommunalité, quand Clichy-sous-Bois ne touchera pas grand-chose. Pour l’ancien député de Saint-Denis, cette loi écrite précipitamment, sans associer les parties prenantes ni les citoyens à la réflexion, est « impraticable ». Des compétences originales développées par les intercommunalités vont se retrouver « orphelines »  : la loi dit qu’elles seront transférées à la métropole, mais la MGP ne pourra pas gérer les médiathèques de Plaine-Commune, les cantines scolaires de Plaine centrale du Val-de-Marne… La MGP pourra, c’est prévu, les rendre aux communes qui pourront constituer des syndicats pour mener à bien des projets autorisés. Kafkaïen. « On ne supprime pas le millefeuille administratif, on l’opacifie »  , note Pascale Le Néouannic. Pour la présidente (PG) du groupe Front de gauche-Alternatifs à la région, pour qui la MGP met en œuvre une « idée fondamentale des libéraux : mettre à l’abri de la pression des citoyens les choix économiques, sous couvert de rationalité et de modernisation ». « On va éloigner les citoyens des décisions stratégiques », abonde Patrick Braouezec.

Le périmètre géographique de la MGP n’est pas encore totalement défini : elle couvre Paris et l’ensemble des communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, mais les communes des autres départements qui étaient liées à l’une d’elles dans une intercommunalité ont jusqu’au 30 septembre 2014 pour décider de la rejoindre ; il en va de même pour les communes qui présentent une « continuité » avec une commune de la petite couronne. Et son périmètre institutionnel est également susceptible d’évoluer. La suppression des départements pourrait être la prochaine étape, en 2020.

Temps de lecture : 4 minutes