Le monde enchanté de François Hollande

Ne pas comprendre que cette crise est structurelle est une faute politique.

Jérôme Gleizes  • 13 février 2014 abonné·es

Avec François Hollande, nous sommes dans la pensée magique, celle qui provoque les catastrophes politiques, comme lors des années 1920. Après avoir découvert la croissance performative, où la seule énonciation de celle-ci suffit à sa réalisation, il vient d’inventer la génération spontanée de capital en réhabilitant la loi de Say dans sa conférence de presse du 14 janvier : « L’offre crée sa demande. » Or, une politique conjoncturelle de l’offre, ni d’ailleurs de la demande, ne peut réussir s’il n’existe pas une production potentielle préalable et des capacités de production inutilisées. Ne pas comprendre que cette crise est structurelle est une faute politique, aux conséquences délétères. Jouer sur les mécanismes de prix, comme le fait le gouvernement depuis 2012, ne sortira pas l’économie française de l’impasse. La production industrielle ne repartira pas, le chômage ne baissera pas, car l’investissement est au plus bas depuis 2005.

La désindustrialisation s’accélère depuis 2008 [^2]. La France est devenue l’un des pays les moins industrialisés d’Europe. Son décrochage est inéluctable si aucune politique structurelle n’est mise en place. L’emploi manufacturier est ainsi passé de 5,1 millions en 1980 à un peu moins de 2,9 millions aujourd’hui. Le solde extérieur manufacturier a été structurellement excédentaire jusqu’au début du XXIe siècle. Mais, depuis, les erreurs industrielles et les mauvais choix politiques s’accumulent : faiblesse de l’investissement, soutien au nucléaire, à la finance et à la grande distribution, faible aide aux universités…

Si la France ne décroche pas, c’est grâce à l’immobilier, dont la valeur continue de progresser au détriment du capital industriel [^3]. Cela crée un paradoxe qui agit comme une épée de Damoclès : sa valeur élevée permet de maintenir un certain niveau de richesse, rendant problématique l’accès au logement pour les classes populaires. Mais l’éclatement de la bulle immobilière pourrait entraîner la France dans une dépression économique et produire un cocktail explosif. Cette politique de l’offre (favorisant les classes possédantes) sans croissance creuse les inégalités, lesquelles ne permettent pas de relancer l’investissement et surtout de financer la transition écologique.

À ce stade, cette politique est plus qu’irrationnelle. La fuite en avant de Hollande, reniant ses positions de 2012, est irresponsable et scandaleuse, selon Paul Krugman. Avec la référence à Say, elle marque une défaite de la pensée de deux siècles, reniant autant les apports de Keynes ou de Kalecki que ceux de Smith, Ricardo, Marx, pour lesquels il ne peut y avoir d’économie sans production. Au lieu de favoriser le capitalisme financier, les services (avec le CICE), la non-séparation des activités bancaires et spéculatives, le gouvernement devrait favoriser l’investissement productif. La crise actuelle est une faillite du mode de production, nécessitant de mettre en place une économie circulaire et de la fonctionnalité. Faute de quoi l’épuisement des ressources naturelles et les changements climatiques nous entraîneront dans une crise de civilisation. 

[^2]: Sauf, principalement, dans l’industrie agroalimentaire et la pharmacie.

[^3]: Lire le Capital au XXIe siècle , de Thomas Piketty (Le Seuil), et les tableaux sur http://piketty.pse.ens.fr/capital21c

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