Amers, les socialistes grenoblois accusent

Malgré des manœuvres qui scandalisent ses adversaires, le PS sort carbonisé du second tour à Grenoble, surpassé par sa gauche. Reportage.

Erwan Manac'h  • 31 mars 2014
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Amers, les socialistes grenoblois accusent
© Photos: Erwan Manac'h

La nouvelle a levé un souffle sourd parmi les militants socialistes, réunis dimanche soir à leur local de campagne. L’équipe sortante, qui a perdu mardi l’investiture PS après son refus de fusionner avec l’union EELV-PG-Citoyens arrivée en tête, pointe à 13 points derrière Eric Piolle (40,3%). Une claque.

Ils avaient pourtant des raisons de croire à un retournement de tendance. Au premier tour, l’abstention avait été particulièrement aigüe dans les quartiers populaires du sud de la ville. Là où les socialistes font leurs meilleurs scores.

Pour mobiliser ces réserves de voix, les socialistes ont déployés les grands moyens. « On est allé à la mairie pour trouver le nom de tous les abstentionnistes » , raconte Amar Thioune, le responsable de la mobilisation dans les quartiers sud. Un « phoning très fort » , du porte-à-porte pour appeler les abstentionnistes à faire le bon choix et proposer un accompagnement le jour du vote ainsi que – selon plusieurs témoignages d’opposants – des rumeurs et des consignes de votes diffusées au sein de la communauté musulmane; et le jour du vote des allers et venues aux bureaux de vote pour consulter les listes d’émargement afin d’identifier les abstentionnistes. Les procès-verbaux des opérations électorales, que nous avons pu consulter ce lundi matin, font mention de plusieurs incidents toutefois marginaux à l’échelle de la ville.

Lire des extraits…

-Dans le 2ème bureau Berriat : « Entre 14 h et 15 h, Monsieur XXXX a fait voter, hors isoloirs, 5 à 6 personnes. Il leur a indiqué, à toute voix, le bulletin à mettre dans l’enveloppe (liste rouge, disait-il) ».

-1er bureau Clémenceau : « Un assesseur du bureau 3 est venu demander au bureau si un couple avait voté. Aucune réponse ne lui a été donnée. »

-Dans le 1er bureau de l’Arlequin, un homme est intervenu à 12h45 « dans le bureau de vote, s’exprimant tout fort “votez Safar“ ». Dans le 2ème bureau de l’Arlequin, « cette même personne est restée près de cinq heures devant le bureau de vote en faisant du racolage et en intimant aux personnes de voter “Safar“».

-Dans le 1er bureau du Village Olympique, une « incitation et une consigne de vote donné par un homme pour voter Safar » sont constatées.

(retranscription non exhaustive).

« Ils nous ont promis monts et merveilles »

Les adversaires, de droite comme de gauche, sortent scandalisés d’une journée « tendue » dans les bureaux du sud de Grenoble. « Nous avons vécu une semaine affreuse, comme jamais, s’indigne Nicolas Pinel, figure du quartier de la Villeneuve et colistier de Mathieu Chamussy (UMP). On entendait parler d’emploi d’avenir et de logement [promis par les socialistes] jusque dans les bureaux de vote. » Pour le candidat qui ne figure pas parmi les 7 élus UMP « la plus belle victoire » de la soirée est de voir tomber « le monopole et le clientélisme qu’ [il] observe depuis quinze ans » , malgré ses divergences de fond avec les écolos.

« Ils nous ont promis monts et merveilles : des logements, des emplois… Ça n’a pas arrêté pendant la campagne » , raconte un habitant de la Villeneuve, qui souhaite garder l’anonymat. Il dit avoir eu la promesse d’un emploi municipal. « C’est le système Destot, ça fonctionne comme ça depuis dix-neuf ans. Mais la vérité, c’est que les gens en ont marre [de l’équipe sortante] », analyse-t-il.

Un tsunami national

Dans le local de campagne, les militants ont convergé dans une tension fiévreuse jusqu’à l’annonce des résultats. La légère baisse de l’abstention laissait croire à un retournement de tendance. « Il y a beaucoup de nouveaux » , observe Simon, routier des campagnes socialiste et fin analyste, qui suit d’un œil la soirée électorale, projetée sur un mur du local socialiste. 20 h 49 : Jérôme Safar se faufile au 2ème étage sans rien laisser transparaitre. 21 h sonnantes, le couperet tombe. Avec 27,45 %, le PS arrive second, devançant à peine l’UMP (23,9 %). Le FN est en baisse, mais fait son entrée au conseil municipal (2 élus et 8,5 % contre 12,5 % au premier tour).

L’écolo-citoyen Eric Piolle conforte son score dans les quartiers du centre-ville et l’avance des socialistes dans les quartiers sud reste limitée. « La [perte] de l’investiture socialiste nous a fait beaucoup de mal. Nous avons fait le travail dans les quartiers sud, mais beaucoup de sympathisants suivent les consignes nationales » , analyse sur le vif Amar Thioune.

Les militants en rangs serrés sur des chaises en plastique s’évaporent. On aperçoit furtivement Geneviève Fioraso, députée de l’Isère et ministre de la Recherche. Jérôme Safar apparaît peu avant 22 h pour reconnaître « le choix des Grenoblois » et féliciter son adversaire.

« La lame de fond qui a tout emporté dans notre pays, ou presque, aura donc eu raison du travail engagé depuis 19 ans », regrette le premier adjoint sortant. « C’est un tsunami » , dira-t-il plus tard.

  • Extraits de son discours devant les militants socialistes :


Illustration - Amers, les socialistes grenoblois accusent

Le déshonneur de Solferino

Jérôme Safar cible aussi la direction nationale du Parti socialiste « tiraillé [e] par plusieurs lignes qui s’affrontent et un leadership invisible qui donne une impression d’amateurisme » , face à « un pays désarçonné qui ne comprend pas la politique menée » . Puis il salue la fédération locale du PS, « qui, au déshonneur, aura choisi l’honneur ». Solferino appréciera.

« À la place d’Harlem Désir, je démissionnerais ce soir » , abonde Abderrahman Djellal, adjoint à l’emploi et à l’insertion. Le PS se cherche, avec toutes ses sensibilités, les gens sont perdus. »

Les « enjeux locaux » , il faudra certes les « analyser plus tard » , concède Jérôme Safar, qui souffrait à Grenoble d’un petit déficit de notoriété. Il faudra aussi commencer un travail de « refondation du Parti socialiste à Grenoble » . « Dans une ville qui accumule les réussites » , l’ancien premier adjoint et ses proches ont pourtant du mal à remettre en cause leur bilan.

Illustration - Amers, les socialistes grenoblois accusent

« Nous serons de tous les combats »

Dans leurs sueurs froides, dimanche, les socialistes se disent résolus à tenir leur rôle d’opposant. « Le terme de “laboratoire de la nouvelle gauche“ inquiète, surtout lorsqu’on veut appliquer les recettes de l’ancienne gauche » , prévient Jérôme Safar, qui sera « présent » « sans opposition de principe ».

« Nous verrons dans six ans si c’est un laboratoire de médiocrité et de décroissance » , tance Amar Thioune rejoint par Abderrahman Djellal, qui perd son siège d’élu :

« Nous serons de tous les combats nous devons préparer les victoires de demain ».

Illustration - Amers, les socialistes grenoblois accusent

« Il y a des fractures qui ne sont pas réparables au niveau des appareils », devise Simon, qui se souvient du premier duel électoral perdu par les socialistes contre les écologistes, lors des cantonales de 2004 en centre-ville, sur fond de divorce sur la construction d’un grand stade.

Le linge sale devra être lavé en famille, car Safar et ses proches apparaissent aujourd’hui isolés dans leur propre camp. Olivier Noblecourt, adjoint sortant à l’action sociale, joue l’ouverture :

« La vague nationale d’aspiration au changement s’est cristallisée sur Eric Piolle, qui a montré son intelligence et son habileté dans cette campagne, analyse l’élu qui sauve son siège, mais il se place dans la continuation de ce que nous avons fait. »

D’autres, hors du premier cercle municipal, ont déjà fait un pas vers les vainqueurs. Mais il faudra du temps et de la bonne volonté pour réconcilier les deux gauches, habituées jusqu’ici à la guerre ouverte. « Nous sommes une génération qui n’a pas connu de défaite politique » , confesse aussi Amar Thioune.

Politique
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