Fukushima : les premiers signes d’une catastrophe sanitaire ?

Alors que la centrale est encore dans une situation extrêmement délicate, une polémique est en train de naître après la détection de cancers de la thyroïde chez des enfants.

Patrick Piro  • 12 mars 2014
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Fukushima : les premiers signes d’une catastrophe sanitaire ?
© A suivre : Le Réseau Sortir du nucléaire coordonne une séquence de cinquante jours d'actions, séparant les dates anniversaires des catastrophes de Fukushima (11 mars) à Tchernobyl (26 avril).

Le 11 mars 2011, la centrale de Fukushima était dévastée, la plus grave catastrophe de l’industrie nucléaire avec l’explosion de celle de Tchernobyl (26 avril 1986). Quatre à cinq ans près le drame ukrainien étaient apparus les premiers cancers de la thyroïde chez des enfants, dont l’organisme est particulièrement perméable aux radiations.

Une étude épidémiologique japonaise, mise à jour le mois dernier, montre que les signaux seraient apparus encore plus vite à Fukushima. Trois ans après la catastrophe japonaise, parmi 254 000 enfants et adolescents vivant dans la région contaminée et testés par échographie (sur les 375 000 concernés), les autorités sanitaires ont déjà pré-diagnostiqué 75 cas de cancers de la thyroïde, dont 33 ont été confirmés par une intervention chirurgicale.

Alors que ce taux dépasse de beaucoup la moyenne nationale, il fait débat au Japon. Les experts officiels tempèrent les alarmes en alléguant de possibles biais d’observation : la finesse des outils de diagnostic permettraient de repérer des petites tumeurs indétectables autrefois. La comparaison au référentiel national serait donc faussée. Il suffirait pourtant d’étendre l’étude épidémiologique à des populations vivant hors de la zone contaminée pour en avoir le cœur net : le gouvernement ne l’envisage pas pour l’instant, la doctrine officielle en la matière découlant des observations de Tchernobyl, où la situation est par ailleurs réputée plus dramatique en raison d’une défaillance importante de la surveillance sanitaire.

Un seuil de radiation « spécial Fukushima »

Mais rien ne prouve que le Japon ait été plus performant. Ainsi, au plus fort de la crise, les autorités ont haussé le seuil maximum de radiation permis avant évacuation, porté à 20 millisievert par an (mSv), une dose temporairement admise… pour les adultes.

Alors que certains experts continuent de prétendre que l’on ne déplorera pas de morts à Fukushima en raison d’irradiations (bien moindre en volume total qu’à Tchernobyl), le bilan d’exposition des « liquidateurs » de la catastrophe montre pourtant que 173 travailleurs ont reçu plus de 100 mSv de dose cumulée, seuil à partir duquel on repère une augmentation du risque de déclencher un cancer. Parmi eux, six salariés de Tepco, l’exploitant de la centrale, ont reçu plus de 250 mSv. Ce bilan ne mentionne bien sûr pas les nombreuses infractions à la législation relevées par le ministère du travail — dans 40 % des cas, rapportent les experts indépendants de l’Association pour le contrôle de la radioactivité de l’Ouest (Acro), qui mentionne aussi l’embauche de SDF.

Illustration - Fukushima : les premiers signes d'une catastrophe sanitaire ? - [Irsn->http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2014/Documents/irsn_fukushima_doses_population_20131211.pdf]

Sur place, les autorités continuent de préparent les modalités de réinstallation d’une partie de la population. Elles considèrent que 40 % de la zone irradiée et cartographiée, qui totalise plus de 1 000 km2, serait vivable, car l’exposition annuelle y serait inférieure à 20 mSv. Un seuil « spécial Fukushima » : cette limite est celle que l’on considère pour les travailleurs employés dans l’industrie nucléaire, en principe étroitement surveillés. En population générale, le seuil accepté est de 1 mSv par an.

Sans compter, souligne l’Acro, les zones d’ombre d’une présentation très optimiste : la décontamination n’a été effectuée qu’à proximité des habitations et des lieux de vie. Et dans certains de ces endroits, des mesures ont montré que le rayonnement était remonté, en raison de mouvement d’eau, de terre ou de poussières. Les autorités envisagent de distribuer des dosimètres aux rapatriés, de manière à ce qu’ils gèrent eux-mêmes leur exposition. Une manière pour l’État de se défausser de sa responsabilité en la transférant sur les populations, dénonce l’Acro.

Mais d’ores et déjà, le bilan sanitaire de la catastrophe est massivement lisible dans l’état psychologique des anciens habitants de la zone. Parmi eux, près de 1 700 seraient décédées, depuis trois ans, en raison d’une progression de l’alcoolisme, de suicides ou de maladies diverses liées au stress.

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes
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