Banco à 50 milliards

Cette somme est à portée de main pour une politique de gauche.

Jean-Marie Harribey  • 10 avril 2014 abonné·es

À défaut d’avoir un cap socialiste, le nouveau gouvernement dispose d’un nombre qui est en passe de devenir un nombre d’or, après la règle éponyme. 50 milliards d’euros, c’est la somme qu’il doit trouver d’ici à 2017. Dans quelle direction les chercher ? There is no alternative  : il faut réduire les dépenses publiques et sociales. Le pacte de responsabilité accordé les yeux fermés aux entreprises s’accompagnera-t-il d’une baisse des cotisations sociales sur les salaires jusqu’à 1,3 Smic ? Environ 3 à 4 milliards de gain net pour les salariés concernés : autour de 50 euros par mois en moyenne (sauf si la prime pour l’emploi est supprimée en contrepartie). Une mesure dérisoire, mais qui ne va pas dans le sens de la baisse des déficits publics.

Comment économiser 50 milliards ? C’est la somme qu’il faut investir chaque année pendant dix ans pour amorcer la transition écologique, notamment énergétique : entre 2,5 et 3 % du PIB dans chaque pays européen. Voilà donc une dépense à éviter, et vive les gaz de schiste et le nucléaire, filière d’avenir, dixit Manuel Valls. Les coïncidences sont troublantes. 50 milliards, c’est aussi le total des exonérations de cotisations sociales annuelles (30 milliards) déjà accordées au patronat et au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (20 milliards). Si le transfert des cotisations famille (10 milliards) se concrétisait, la barre serait même dépassée. Les intérêts de la dette publique que personne n’ose annuler bien que largement illégitime : 56 milliards en 2013. Et l’évasion fiscale pratiquée par les riches, les grandes entreprises, les banques ? Au bas mot, également 50 milliards par an. Au lieu de tout faire pour récupérer ce manque auprès des « évadés », le gouvernement Ayrault avait préféré augmenter de 20 milliards les impôts de tous. La réforme fiscale, promise par un Hollande candidat, entrevue par un Ayrault finissant, est mort-née. Au lendemain d’une débâcle électorale, Hollande n’en a soufflé mot.

La social-démocratie à la française s’est éteinte en 1982 avec la victoire des Delors, Bérégovoy & Cie, qui ont construit l’Europe du grand marché, dérégulé la finance et abandonné la politique monétaire aux mains des financiers. Le social-libéralisme a donné son chant du cygne en se consacrant au sociétal plutôt qu’au social, en rognant les retraites, en sabotant la réforme bancaire et l’ébauche de taxe Tobin. Il ne reste plus que le libéralisme. Le pacte faustien coûterait 50 milliards. Alors que cette somme est à portée de main pour une politique de gauche. En 1972, avant que ne s’ouvre l’ère du capitalisme néolibéral, les sociétés non financières françaises versaient 3,65 % de leur valeur ajoutée brute en dividendes nets à leurs actionnaires. En 2012, après quarante ans de règne sans partage de ces derniers, elles leur en versaient 8,27 %. Presque 5 points de plus. Combien font 5 points de plus de valeur dans ce périmètre des entreprises ? Juste 50 milliards, qui ne sont pas le total des dividendes, mais le supplément de ceux-ci. Cela représente une grande part du « surcoût du capital » annuel, évalué autour de 100 milliards par les économistes de l’Université de Lille. L’investissement pour une transition écologique n’est pas entravé par le coût du travail mais par le pouvoir et la richesse captés par les actionnaires. La folie de ce système est telle que cette captation croît encore lorsque la rentabilité du capital s’émousse un peu.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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