EELV cherche la ligne verte

La sortie du gouvernement, dont le parlement des écologistes a pris acte, voit Cécile Duflot imposer sa stratégie au parti, au prix d’un éclatement de la majorité interne et d’une perte de cap.

Patrick Piro  • 10 avril 2014 abonné·es

«E nfin de la politique ! », se réjouit une militante. Ceux qui prédisaient un conseil fédéral Europe écologie-Les Verts (EELV) sous haute tension, samedi et dimanche derniers boulevard de La Villette, à Paris, ont été démentis. Quoique francs, les échanges n’ont pas versé dans cette cuisine interne qui occupe souvent les écologistes. Ils ont même débouché sur une forme de consensus : les quelque 150 délégués du parlement d’EELV ont globalement approuvé la décision prise lundi 31 mars par les ministres Cécile Duflot et Pascal Canfin de ne pas participer au gouvernement Valls, devenue position officielle du parti le lendemain par une large majorité de son bureau exécutif [^2]. Et ce en dépit d’un clivage radical avec les 27 parlementaire écologistes, fortement favorables à l’offre présentée à EELV par le nouveau Premier ministre : un rang de numéro 2 du gouvernement pour Duflot à la tête d’un grand ministère de l’Écologie incluant l’énergie, la promesse de tenir les engagements sur le nucléaire, cent députés élus à la proportionnelle dès la prochaine législature, pas de remise en selle du gaz de schiste ni des OGM, et même le sous-entendu d’un abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… Le député Denis Baupin se dit « inquiet », convaincu que les écologistes étaient sur le point de toucher les bénéfices de leur persévérance, sur le nucléaire notamment. « Quelle garantie que nous ferons mieux en étant à l’extérieur du gouvernement ? »

La décision de Cécile Duflot  [^3] ne laissait cependant pas de place à un revirement du bureau exécutif. Et elle a largement convaincu son auditoire. Les propositions de Valls ? « Dommage, avec 18 pages de plus, nous aurions eu l’accord PS-EELV de novembre 2011 ! » Un Premier ministre qui vend au rabais ce qui a déjà été signé, la confiance perdue après deux années de guérilla au gouvernement et surtout le maintien du cap de l’austérité par François Hollande en dépit de la défaite historique du PS aux municipales. « C’est aussi cela qui a été sanctionné par les Français dimanche : une politique où le verbe compte plus que les actes. » Aussi, tout en regrettant que les élus nationaux n’aient pas plus de poids dans le cas d’un tel « fait politique majeur », François de Rugy, coprésident du groupe des 17 députés, a reconnu qu’une prorogation de la participation gouvernementale « n’aurait probablement pas été suivie par le conseil fédéral ». Volonté d’apaisement aussi chez Jean-Vincent Placé, président du groupe des sénateurs EELV, qui jugeait « crédible » l’offre de Valls. Même si « c’est Cécile qui a décidé qu’elle sortirait du gouvernement, et que nous n’en soyons plus partie prenante », il concède que ce choix est aussi « un peu celui des Français [^4] ». Loin de la « prise en otage du parti » décrite par Daniel Cohn-Bendit, il a été validé par le conseil fédéral, qui l’a applaudi comme un vrai choix politique.

Duflot en ressort plus que jamais au centre des forces écologistes. Affranchie du soupçon carriériste –  « Vous connaissez beaucoup de politiques qui auraient refusé un poste de numéro 2 ? », lance Pascal Canfin –, elle a pris de vitesse le camp majoritaire d’EELV, jusque-là favorable à la cogestion gouvernementale, dont est issue une grande partie de ses parlementaires, elle comprise [^5]. Tout en donnant satisfaction à une aile gauche interne très critique envers le gouvernement, et qui marquait des points depuis le congrès de Caen, dont le parti n’est sorti, en novembre dernier, qu’avec une faible majorité. « Cécile Duflot, par ailleurs sincèrement révulsée par les positions de Valls sur les immigrés et les Roms, cherche à mettre le parti en mouvement, analyse le député Sergio Coronado, membre de cette opposition. Au-delà de son aura de cheffe, elle a la capacité, dans les trois ans à venir, de devenir une vraie femme d’État. » Personne ne doute que Duflot, qui avait esquivé l’opportunité en 2012, sera la candidate d’EELV à la présidentielle de 2017. Les écologistes devaient se prononcer, dimanche, sur le vote de confiance au gouvernement : ils ont massivement décidé, à 102 voix contre 10 (et 11 blancs), qu’elle « ne peut être accordée tant qu’une réorientation de la politique économique, sociale et environnementale n’aura pas été amorcée ». Pour autant, il ne s’agit pas d’un mandat impératif, et il était probable, mardi après-midi, que le vote des députés serait beaucoup plus nuancé. « Nous restons la dernière force institutionnelle des écologistes », prévient Jean-Vincent Placé, qui ne cache pas son intention de jouer un rôle « d’équilibrage » face aux instantes dirigeantes du parti. En dépit de sa justification politique apparente, le sens du coup de barre des écologistes pourrait donc rapidement échapper à son public, et bien avant le gain électoral espéré lors du prochain scrutin européen (25 mai), faute d’un recadrage général de la position du parti. Le conseil fédéral, bousculé par le remaniement gouvernemental précipité, ne s’est saisi de l’enjeu qu’en ordre dispersé. « Tout cela ne change pas la ligne sur laquelle j’ai été élue », veut convaincre Emmanuelle Cosse. Les orateurs livrent tout à tour leur lecture. Version de Rugy : les écologistes « ont vocation à participer au gouvernement », ils pourraient y revenir sans tarder « si les conditions le permettent »  ; le parti n’est pas « dans l’opposition », il ne se privera pas de critiquer la politique de Hollande mais il sera dans une posture « constructive ». L’aile gauche du parti, qui prend la décision de Duflot comme une victoire « culturelle », entend bien pousser son avantage. « Les explications de Duflot et de Canfin sont parfaites, et sortir du gouvernement est un acte fondateur, reconnaît Gilles Lemaire. Mais pour quoi faire ? La majorité de Caen a explosé, il faut en reconstituer une. »

L’agenda des premières frictions est déjà apparent : après le décryptage du vote des députés écologistes sur la confiance au gouvernement, il y aura l’appel de la gauche du parti à participer au défilé du 12 avril contre l’austérité, qu’organise notamment le Front de gauche. La direction d’EELV n’ira pas, après avoir rejeté sans ambiguïté les offres de rapprochement de ses deux principaux chefs de file (voir p. 6). Et, avec une solennité lourde, Jean-Vincent Placé demandait à ceux qui seraient tentés « la même solidarité que nous avons manifestée vis-à-vis du parti après la décision de sortir du gouvernement ».

[^2]: Après correction : 9 voix pour la sortie du gouvernement, 4 contre, 2 qui « ne participent pas au vote ».

[^3]: À lire sur www.pascalcanfin.fr.

[^4]: Un sondage indique qu’ils sont 56 % à penser que « l’absence des ministres verts au gouvernement est plutôt une bonne chose ».

[^5]: Députée de Paris, elle va retrouver sa place à l’Assemblée nationale.

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